Le lauréat de la 16e édition du Booker arabe, Zahran Alqasmi.
Une scène cinématographique ouvre merveilleusement le roman. Dès les premières lignes, une interrelation entre le filmique et le scriptural s’impose. Des techniques inspirées du cinéma qui se sont infiltrées dans l’écriture. L’auteur a recours à ces techniques et essaie de rattacher chaque description à ce que pourrait voir un homme, situé à un endroit et à une distance bien déterminés.
Tout au long du texte, le narrateur rappelle qu’il s’agit d’un personnage-observateur qui sait tout : Bou Oyoun (l’homme aux yeux) est surnommé ainsi en raison de sa vue perçante. Il découvre le corps de Mariam Bint Hamdoud Ghanem, noyée dans un puits. Sa tante, Aïcha Bint Mabrouk, révèle que la victime était enceinte. Cheikh Hamed décide de se débarrasser du foetus, alors que Bou Oyoun et Kazia Bint Ghanem refusent complètement. Cette dernière réussit à sauver le bébé, et on le prénomme Salem (l’indemne).
Cet événement perturbant est, en effet, un prétexte pour se lancer dans le narratif et esquisser le récit de la femme morte noyée : Mariam, la meilleure à broder des vêtements dans le village d’Al-Mesfah. Elle souffrait de migraines chroniques, et pour les finir, elle plongeait la tête dans le puits. Celui-ci figurait toujours dans ses rêves, à tel point qu’une fois réveillée, elle se dirigeait vers le puits pour répondre à son appel mystérieux.
A partir de cette image, le récit charrie un exotisme fascinant qui sert de décor au roman. La nature d’Oman est présente avec ses détails les plus minutieux : la tempête qui transforme l’été en hiver en quelques minutes, les torrents qui attaquent les villages et obligent les habitants à les quitter, sans compter le lexique particulier relatif aux arbres, aux palmiers et aux animaux désertiques. D’ailleurs, les sources d’eau y jouent un rôle majeur. Celles-ci servent à décrire les lieux, mais aussi les émotions. A titre d’exemple, l’écrivain, pour décrire les sentiments de Salem à l’égard de Nasra, la fille de Kazia Bint Ghanem, précise : « Elle hantait son âme, tout comme ces sources situées au coeur des pierres ». Ou encore plus loin, il décrit sa réaction lorsqu’il rencontre Nasra quelques années plus tard : « Il a commencé à écouter une petite fontaine d’eau coulant timidement au plus profond ».
En effet, la beauté de ce texte réside dans le fait d’avoir recours à un langage particulier propre à l’environnement d’Oman, un désert aride traversé par des sources d’eau. Il y a aussi l’intrusion d’un monde extraordinaire qui s’imbrique dans ce milieu où tout est unique : les sources d’eau à Oman ont été creusées par les djinns. Et ce, pour donner à boire à Soliman qui avait soif et avait dû quitter son tapis volant à la recherche d’eau.
L’eau est toujours là !
Dans ce roman de 230 pages, l’eau demeure le vrai protagoniste. L’eau souterraine est la source de vie de tous les villages omanais. En outre, la vie de Salem est liée dès le début à l’eau : sa mère a trouvé la mort au fond d’un puits, son père a succombé sous la boue en creusant l’un des ruisseaux. Quant à Salem lui-même, ayant une ouïe très fine, il a toujours travaillé comme un « Qafer », c’est-à-dire comme celui qui traque les réserves d’eau souterraines dans le désert. Une faculté singulière qui fait peur à de nombreux habitants, qui ont décidé de l’éviter.
Le résultat ? Salem est dévoré par un sentiment intense de dépaysement. Et ce, malgré son utilité pour le village. Le thème du « dépaysement » n’émerge que vers la fin du roman, et se développe avec les dernières lignes : Salem, en quête d’eau, tombe dans un trou profond et cherche à s’en sortir. Il s’agit là de l’une des scènes les plus attirantes du roman.
C’est comme si l’écrivain voulait s’interroger : Et si cette source de vie était elle-même une source de mort ? Le lecteur se trouve non seulement face à des mots et des tournures bien choisis, ainsi qu’à une réflexion philosophique, mais aussi face à un angle de prise de vue comme au cinéma. Les techniques photographiques caractérisent l’écriture littéraire. Le cinéma s’impose comme modèle non seulement de référence, mais aussi de construction.
La fin ouverte laisse le lecteur dans un état de questionnement sur le sort de Salem : a-t-il réussi à trouver la bonne voie ? Ou bien a-t-il connu le même destin que sa mère, morte noyée ?
Le lauréat de la 16e édition du Booker arabe, Zahran Alqasmi, préfère ne pas donner de réponses. Né en 1974 à Dimaa Wattaeïne au Sultanat d’Oman, il est aussi poète, ayant à son actif quelque 10 recueils et seulement 4 romans. Il préfère le non-dit et la suggestion.
Taghribat Al-Qafer (le dépaysement du sourcier), de Zahran Alqasmi, édition Dar Rachm, 2022, 230 pages.
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