Il y a un homme qui m’intéresse, c’est Nasser ! Impossible que ce titre passe inaperçu ! Il s’agit d’une phrase tirée d’une conversation entre le président français, Charles de Gaulle, et son homologue algérien, Ben Bella, que l’auteur du livre, Abbas Abou-Ghazala, a décidé d’en faire le titre de son présent ouvrage sur Nasser. Une des personnalités les plus controversées du monde contemporain, un sujet de division au niveau de ses compatriotes, Nasser continue encore d’être un sujet qui inspire et impressionne à la fois. Dès les premières lignes de son ouvrage, Abbas Abou-Ghazala explique comment il a appris la triste nouvelle de la disparition brutale du président le 28 septembre 1970, alors qu’il était à Paris pour préparer une thèse à la Sorbonne sur le théâtre français de cour au XVIIe siècle, et particulièrement sous le règne de Louis XIV. L’auteur, né à Alexandrie, souligne les réactions de ses deux compatriotes, se trouvant en France à l’époque, variant entre douleur et indifférence. Il évoque également les obsèques d’un « Raïs légendaire » qui l’ont bouleversé. Mais, c’est l’hommage du général De Gaulle, « un témoignage mémorable », qui a inspiré l’auteur pour se lancer dans sa quête, afin d’élaborer un ouvrage inédit.
Chercheur expérimenté, traducteur historien dominé par le souci d’objectivité, Abou-Ghazala a été amené à explorer, approfondir et étendre la connaissance sur le Raïs à travers un plan bien construit. Pour ce faire, l’auteur a dû entreprendre deux voies à la fois : l’exploitation des témoignages et des messages de condoléances écrits après la mort de Nasser et l’analyse de ses discours et de ses déclarations, ainsi que de nombreux articles publiés dans la presse française et internationale et les mémoires des hommes politiques qui l’ont connu.
A travers dix chapitres étendus sur 297 pages, il a retracé, avec beaucoup de minutie et une sympathie visible (ne s’approprie-t-il pas ainsi l’avis de De Gaulle souligné depuis le titre ?), le portrait de Nasser sans en faire une vraie biographie.
Dans le premier chapitre, il retrace la carrière du jeune Gamal Abdel-Nasser, fils de postier, depuis l’école militaire jusqu’à la Révolution de 1952, en passant par la guerre de Palestine. Un récit plein d’observations pertinentes et de détails évocateurs. Abou-Ghazala a eu recours à l’immense ouvrage qu’a écrit Georges Vaucher, économiste, chef des services financiers du Journal d’Egypte, correspondant au Caire de plusieurs journaux suisses et qui a résidé plus de 30 ans en Egypte, intitulé Gamal Abdel- Nasser et son équipe.
Les extraits tirés de celui-ci constituent une part du récit du témoin oculaire, qu’a été Vaucher, à propos des lectures qui ont marqué l’esprit du jeune Nasser et façonné sa ferveur patriotique. Au fur et à mesure, des incidents politiques sont mis en parallèle avec son parcours, tout en ayant toujours des témoignages comme par exemple celui de Kamaleddine Hussein, membre des Officiers libres, qui affirme dans la revue illustrée égyptienne Al-Mossawar, et cité par Vaucher, avoir « décidé d’assassiner tous les traîtres égyptiens ». L’auteur accorde une place importante au livre signé par Nasser lui-même, à savoir La Philosophie de la Révolution. Il effectue des va-et-vient de manière à retracer les grandes lignes de la politique nassérienne. Celle-ci gravite autour de « trois cercles » : le monde arabe, l’Afrique et le monde musulman.
Accomplissements et erreurs
La question de la politique intérieure n’a pas été abordée. Toutefois, il a consacré quatre chapitres au projet de Haut-Barrage à Assouan, et du retrait des grandes puissances et de la Banque mondiale du financement de ce grand projet qui a amené Nasser à nationaliser la Compagnie universelle du Canal maritime de Suez. Un acte qui a contribué à ce que la France, l’Angleterre et Israël déclenchent la guerre pour récupérer le canal.
Le chapitre VI taille un portrait de Nasser, le leader des non-alignés. Il met ainsi en lumière son allocution à la 15e session de l’Onu qui s’ouvre le 20 septembre 1960, et dans laquelle tous les grands problèmes de l’heure ont été abordés : Nasser revient sur le sort des Congolais, des Palestiniens, des Algériens. Le chapitre VII porte le même titre que celui du livre : « Il y a un homme qui m’intéresse, c’est Nasser ». Il s’agit de mettre en lumière les points de ressemblance et d’admiration mutuelle entre deux chefs d’Etat qui ne se sont jamais rencontrés : Nasser et De Gaulle. Le chapitre VIII, c’est un mea culpa de Nasser et la réaction du peuple face à sa démission annoncée à l’Assemblée nationale le 23 novembre 1967. Dans ce chapitre figure l’un des passages les plus intéressants de l’oeuvre, lorsqu’Abou-Ghazala insère un extrait de l’ouvrage extraordinaire signé par Naguib Mahfouz, en 1983, Devant le Trône-dialogue entre les chefs d’Etat.
Dans cet ouvrage, traduit par Abou-Ghazala, Mahfouz fait comparaître Nasser devant une Cour regroupant plusieurs anciens gouverneurs d’Egypte, toutes époques confondues, pour juger ses actions : accomplissements et erreurs, depuis qu’il a pris le pouvoir : « (…) le roi Ménès s’adresse à Nasser : Mais, votre intérêt pour l’union des Arabes dépassait celui de l’Egypte immortelle et vous avez même barré le nom de l’Egypte éternelle d’un trait de plume. Beaucoup d’Egyptiens ont été contraints d’émigrer, ce qu’ils n’avaient jamais fait auparavant, excepté dans les périodes de contrainte passagère. Nasser répond : Ce n’est pas ma faute si certains Egyptiens s’imaginent que l’unité arabe signifie leur perte. Ce n’est pas ma faute si j’ai accompli des actes glorieux, mes prédécesseurs n’ayant pu les réaliser (…) ».
Le livre se termine par les chapitres IX et X qui abordent la mort de Nasser, et l’hommage qu’ont rendu à sa mémoire des leaders du monde entier, lesquels ont prononcé leurs discours à l’Onu. Leurs phrases ont complété le portrait esquissé tout au long de l’oeuvre.
Un ouvrage copieux, comprenant des photos de Nasser à des phases différentes de sa vie, avec son père et son oncle, à l’école militaire, lors de l’incendie du Caire en 1952, avec Ben Bella et Khrouchtchev. Celles-ci sont appuyées par des documents tels la Une du quotidien Le Journal d’Egypte, daté du 27 juillet 1956, des extraits des hebdomadaires Le Progrès-Dimanche du 29 juillet 1956 et Les Nouvelles du 27 juillet 1956. Ceux-ci mettent l’emphase sur un texte riche. De quoi accroître l’intérêt de l’ouvrage qui s’ajoute aux livres précédents signés par Abou- Ghazala, à savoir La Genèse de l’Opéra Aïda et de l’expédition d’Alexandrie et L’expédition d’Alexandrie — Kléber contre Bonaparte.
Il y a un homme qui m’intéresse, c’est Nasser !, de Abbas Abou-Ghazala, éditions L’Harmattan, 2022, 297 pages.
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