Ce récit est en quelque sorte une oeuvre thérapeutique. La poétesse égyptienne Fatma Qandil a courageusement rédigé cet ouvrage, pour traiter ses blessures, soulagersaconscience, fairele point sursa vie et mieux repartir, en étant en paix avec elle-même. Elle suit le parcours de plusieurs membres de sa famille (sa mère, son père et ses deux frères), ce qui les a menés à l’échec et à des destins cruels. Elle seule en a échappé belle. Le récit est divisé en quatre chapitres. Le premier, intitulé Une boîte de chocolat, malheureusement rouillée !, fait office d’un préambule au texte. C’est de cette ancienne boîte de chocolat que sortent les souvenirs de Qandil. Dans le deuxième chapitre, intitulé Le commencement … l’amour et la tristesse des cordes du violon, la narratrice continue d’évoquer ses souvenirs, en interrogeant l’efficacité d’écrire. Elle tombe sur quelques cahiers, représentant le journal intime de sa mère, où elle raconte les moments difficiles de sa vie, après le départ de son fils aîné. De quoi encourager l’écrivaine à se lancer dans la rédaction de ce récit intime. Elle retrace la vie de sa mère, atteinte d’un cancer, raconte comment elle a pu vaincre sa maladie, etc. Puis, elle passe au troisième chapitre, Des étrangers qui jouent au ping-pong, et enfin au quatrième, intitulé Un absent qui revient juste à l’heure… avant le début du spectacle, où elle aborde le retour de son frère aîné, la mort de ses deux frères et la vente de leur maison familiale. « J’étais comme quelqu’un qui commet un meurtre et qui fait attention à ne pas laisser d’empreintes. J’ai décidé de ne rien emporter avec moi. J’ai ouvert les portes et j’ai donné les meubles à qui les voulait. J’ai violemment découpé toutes les photos et lettres de mes deux frères. J’ai effacé leurs traces de l’ancienne maison, de peur qu’ils ne me poursuivent dans ma nouvelle vie et m’attaquent la nuit. Je n’ai laissé qu’une seule photo de mon père, et de nombreuses photos de moi-même, accompagnée de ma mère. J’ai pris quelques vêtements, pas encore usés, et mes livres. J’ai remis la clé au nouveau propriétaire et j’ai fermé la porte à jamais, derrière moi », écrit Qandil dans son ouvrage, en expliquant qu’elle a essayé d’être impartiale, comme si cette biographie ne la concerne pas. « Tout ce que j’écrivais sur papier était vraiment douloureux. Je me sentais libérée de tous ces souvenirs (…) Je voulais balayer la poussière », poursuit-elle, dans son ouvrage.
Se mettre à nu
Fatma Qandil tente de se réconcilier avec sa douleur, de se libérer du poids des souvenirs. Elle décide d’être franche avec elle-même, et d’aller jusqu’au bout. Son père, professeur de mathématiques, était un étudiant exceptionnel qui a sacrifié son rêve de faire des études en ingénierie après la faillite de son père commerçant. Il a alors travaillé comme enseignant pour s’occuper de ses frères, mais il n’a jamais consenti à ce sacrifice, alors il est devenu alcoolique. Sa mère, issue d’une famille aisée, gâte son fils aîné et cache son échec scolaire pendant des années. Elle s’endette pour financer son séjour à l’étranger, mais le fils a encore raté cette chance. Elle était quand même proche de la poétesse, mais ne lui a jamais porté conseil sur sa vie personnelle. Et elle a fini par mourir d’un cancer. Le fils aîné (Ragui) parvient à obtenir son bac, après de nombreuses tentatives. Il part pour étudier l’ingénierie en Allemagne, mais il disparaît pendant trente ans et rentre bredouille. Il finit par mourir dans une maison de retraite et sa soeur a rompu tout lien avec lui. Le fils cadet (Ramzi) s’inscrit à la faculté de médecine, décide de se marier assez tôt et de résider dans la maison familiale. Plus tard, il vend sa clinique privée et voyage en Arabie saoudite, devient salafiste, abandonne la médecine et se transforme en vendeur de crèmes de beauté. Il refuse de payer les coûts du traitement médical de sa mère et accepte que son riche cousin s’en charge. La plus jeune de la famille (Fatma), la poétesse-narratrice, est pratiquement la seule à avoir réussi sa vie, et ce, malgré deux tentatives de suicide. Un enchaînement malheureux de circonstances la pousse à travailler comme secrétaire, après avoir terminé son baccalauréat. Elle épouse le riche propriétaire de l’entreprise où elle travaille, car il a soutenu sa famille financièrement. Puis, elle reprend ses études en littérature arabe, après l’échec de ses deux mariages, obtient son doctorat et écrit de la poésie et du théâtre. Fatma Qandil vend la maison familiale, témoin de tant de souvenirs cruels, achète une nouvelle, pour recommencer sa vie. Quinze ans plus tard, elle écrit ce qu’elle a vécu, pour se débarrasser de ce qui l’a tellement étouffée et continuer son parcours tranquillement.
Aqfass Farigha. Ma Lam Taktobohou Fatma Qandil (Des cages vides. Ce que Fatma Qandil n’a pas écrit), aux éditions Al-Kotob Khan, 255 pages, 2022.
Lien court: