C’est un roman qui peut être classé sous l’étiquette de « littérature de la diaspora ». Il traite de la vie d’immigrants venus du monde entier vers « le soleil levant », que le lecteur pense d’abord être une terre imaginaire. Mais elle est décrite de façon à ressembler à différentes destinations d’immigration. Le lecteur réalise bientôt qu’il s’agit, très probablement, de la terre « de tous les rêves », les Etats-Unis.
L’écrivaine et universitaire égyptienne Miral El-Tahawy a su profiter de la popularité récente de la littérature de la diaspora pour bien tisser les fils de son dernier roman en date, Ayam Al-Chams Al-Mochreqa (jours du soleil levant). Elle renoue avec ce genre littéraire qui a toujours été un axe important de l’écriture, surtout ces dernières années qui ont témoigné d’événements dramatiques liés à l’immigration clandestine. « Chaque expérience littéraire reste un cas particulier sur le plan de vision, de proposition et d’expérience humaine », a-t-elle déclaré dans la presse.
Le roman se déroule dans une ville située sur les frontières terrestres et côtières de la rive ouest des Etats- Unis. Elle s’est transformée d’une ville en montagne abandonnée, essentiellement une ville de mineurs, pour devenir une cible pour les aventuriers et les réfugiés, ainsi qu’un point de passage qui attire les travailleurs illégaux. El-Tahawy prend la vie d’immigrants comme matière fertile. D’origine bédouine, expatriée, puisqu’elle est professeure de littérature arabe au Collège de langues internationales et de traduction à l’Université d’Arizona, aux Etats-Unis, l’écrivaine explique dans la presse que « le roman est sur la survie. Une exploration de cette autre rive qui accueille les immigrés et les réfugiés, bref, d’un monde multiethnique. Il y est question de misère, de pauvreté, d’abus social. Ces pays, qui n’ont l’air pittoresque que sur les photos, constituent par ailleurs un grand cimetière où sont enterrés les rêves des gens simples ».
Des marginalisés
L’ouvrage traite de ce monde à travers un certain nombre de personnages, Neam Al-Khabbaz, une aide-ménagère, Mimi Dong, une jeune femme africaine qui est arrivée en terre d’immigration avec d’autres enfants envoyés par l’église, Fatima, Crystal et d’autres personnages, victimes de guerres et de famines, des bonnes et des nounous, des clochards, mais aussi des hommes ambitieux, qui se sont évadés de l’enfer du passé. A travers ces personnages, le roman incarne les marginalisés, parmi les migrants, dans les pays d’accueil.
Pour attirer le lecteur dès le début, El- Tahawy le choque par trois incidents tragiques, au premier chapitre. La romancière considère que la nature de la vie, dans le monde fictif qu’elle décrit, a donné lieu à un état de tension et d’anxiété, à des scènes de mort gratuite, dans des incidents de suicide ou de balles perdues.
En 278 pages, le lecteur explore un certain nombre de portraits littéraires, des visages de la diaspora, issus de différents horizons, alors que tous partagent un passé tragique et la misère.
Neam Al-Khabbaz suscite tant de sympathie, cependant elle incarne des contradictions difficiles à saisir : une femme de ménage au visage défiguré par un accident durant son enfance, mais qui passe sa vie à chercher l’acceptation et l’amour. Elle est analphabète, mais capable de créer son propre langage et d’affronter la société sans vergogne. Elle est pauvre jusqu’à la misère, mais ambitieuse sans limite, pleine de vie, de chagrin et de laideur.
Le lecteur fait également la connaissance de l’imam des immigrés, dont la mission est de rendre hommage aux morts et d’établir des rituels, au moment où le statut de la vie spirituelle décline et ne se rapporte qu’à la mort.
On rencontre aussi dans le roman des ouvriers travaillant dans le domaine de l’évacuation et du commerce des trésors des maisons détruites, des travailleurs humanitaires, des infirmières et bien d’autres. Le point commun entre les personnages de l’ouvrage est qu’ils se sont inventés généralement une histoire imaginaire de leur vie d’avant.
La romancière donne la parole à ceux qui sont marginalisés dans la société occidentale, et approfondit les questions sur ce qui les concerne : ils aspirent tous à une vie digne, mais finissent par avoir une vie pas moins misérable que celle vécue dans leur terre d’origine.
Ce roman est une incarnation de la question de l’identité à l’époque moderne, et une idéale représentation du labyrinthe de la migration. C’est surtout une vision de l’étranger, qui, parfois, se révolte contre la nouvelle réalité, mais crée une méthode pour faire face à sa cruauté.
Ayam Al-Chams Al-Mochreqa (jours du soleil levant), roman de Miral El-Tahawy, éditions Al- Ain, 2022, 278 pages.
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