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L’art contre l’oubli

Dina Kabil , Mercredi, 20 juillet 2022

Au fil des pages de Mémorabilia, les collections d’art du couple Mohamed Salmawy et Nazli Madkour se révèlent tel un musée qui dépasse les frontières familiales pour accéder à tout lecteur-visiteur.

L’art contre l’oubli

Au milieu du livre Mémorabilia, on tombe sur une petite toile de paysage naturel. Elle n’est pas signée par Gauguin, Camille Corot, Abdel-Hady Al- Gazzar ou Eugène Fromentin, comme c’est le cas de la sélection de collections artistiques incluse dans le livre. Mohamed Salmawy raconte que c’est une peinture de sa mère auprès de laquelle il avait, très tôt, l’habitude de contempler l’art et d’en savourer la beauté. Une passion qui s’est sans doute renforcée, plus tard, lorsqu’il a rencontré sa femmepeintre Nazli Madkour avec qui il a partagé l’amour de collectionner les pièces d’art. Ensemble, ils ont fait le tour des salles de vente aux enchères, ils ont hérité des pièces uniques passées de père en fils, et une fois la collection est abondante, ils décident d’en publier une partie dans Mémorabilia. On trouvera donc dans ce livre-musée, réparti en 9 chapitres, des peintres et des sculpteurs mondiaux du XIXe siècle, de grandes figures de la peinture égyptienne, des lithographies, poterie, photographies, pièces d’étoffes et tapisserie historiques, en plus de l’art du portrait, des cannes artistiquement fabriquées et un chapitre très original présentant les tableaux des non-peintres.

Cette passion de collectionner des objets d’art uniques satisfait sans doute un hobby, un amour profond de la beauté, mais trouve surtout son rapport inséparable avec l’histoire. C’est à quoi s’attache Mohamed Salmawy : « Le rapport de l’art à l’histoire est à mes yeux une relation organique mutuelle (…) Chaque oeuvre artistique est un miroir qui reflète, d’une manière ou d’une autre, l’un des aspects de l’histoire qui l’a accompagnée, de la civilisation qui l’a créée, comme si ces oeuvres étaient des souvenirs, des ( mémorables ) de différentes civilisations humaines ». Des oeuvres contre l’oubli.

Peintres internationaux


Peinture à l’huile de Camille Corot.

  Il est facile, en feuilletant Mémorabilia, de tomber sur des noms comme Camille Corot (voir la photo), l’une des figures incontestables de l’école des impressionnistes français, ou encore sur des artistes de l’école hollandaise qui a connu son âge d’or au XIXe siècle. Pourtant, ce n’est qu’une partie infime de la grande collection privée de Salmawy-Madkour.

Il s’agit d’une sélection d’oeuvres-repères qui renvoient à des époques bien distinctes. La critique Magda Saad Eldine commente le tableau de Corot (1796-1875) en soulignant la formation de ce dernier au sein de la période classique, mais « à partir de son oeuvre captant le paysage, il a prédit l’école impressionniste qui se base sur la nature pour révéler les impressions de la lumière ».

Peintres égyptiens


Huile sur papier coloré de Hamed Nada.

La gamme des peintures égyptiennes épouse des générations qui ont marqué la scène égyptienne depuis les groupes artistiques des années 1940 : Hamed Nada et Abdel-Hady Al-Gazzar, puis des stars des années 1950 et 1960 comme Gazbiya Sirry, Ragheb Ayyad, Seif Wanly, Salah Taher, Salah Abdel-Kérim, jusqu’aux contemporains.

Dans ce tableau de Hamed Nada, on reconnaît la tendance contemporaine qui va marquer toute une génération d’artistes, puisque le peintre a réussi à toucher à la fois aux peintures murales de l’Egypte Ancienne et au surréalisme qui transcende le réel vers le monde psychique. « L’univers des sorcières et des charlatans a attiré Hamed Nada et Abdel-Hady Al-Gazzar, en dépit du fossé qui sépare la peinture de chacun d’eux et leur vision du monde. A partir de cet univers, Hamed Nada a opté pour ce qu’il appelle le surréalisme populaire », explique Magda Saad Eldine.

Sculptures


Al-Fallaha, 38x14x12,5 cm, de Mahmoud Mokhtar.

La collection des sculptures de Mohamed Salmawy n’est pas moins impressionnante que le reste du trésor. Au niveau international, le lecteur pourra admirer la signature d’Edgar Degas incrustée en bas de sa sculpture La Petite danseuse de 14 ans, celle d’Albert Carrier- Belleuse sous La Liseuse, ou encore celle d ’ Antonin Mercié en bas de Gloria Victis (la gloire est au victorieux) qui date de 1874. Au niveau local, la collection comprend « Al-Fallaha » (la paysanne), le chef-d’oeuvre de Mahmoud Mokhtar, pionnier de la sculpture égyptienne à l’ère moderne. Il s’agit de la version originale exposée à Paris en 1930, quatre ans avant la mort de l’artiste. Conscient de l’importance nationale d’une telle pièce, Salmawy a eu l’idée, en 2014, de faire une version en bronze et de l’offrir au Musée Mokhtar pour qu’elle soit à la portée de tout le monde.

Manuscrits, tapisseries et cannes


Photos de tapisserie et d’une canne en argent.

 Passionné par l’histoire et les trouvailles précieuses, Mohamed Salmawy est avant tout journaliste et écrivain qui possède un rapport particulier aux manuscrits et qui apprécie l’évolution de l’impression. Ainsi, nous découvrons des décrets qui remontent à l’époque ottomane du XVIIe siècle, des cartes qui remontent à la Seconde Guerre mondiale, des reliures de livres ornées de pierres précieuses, des manuscrits écrits à la main par des écrivains tels Tewfiq Al- Hakim, Naguib Sorour ou Jean Cocteau. Un autre chapitre est consacré à la tapisserie. La variété et la richesse de la collection de tapisserie donnent l’impression d’un voyage et d’une recherche assidue aux sources de cet art raffiné. On se balade entre les ornements somptueux de tapis turcs de l’époque ottomane, la beauté du coloris et des dessins de tapis persans ou encore le design dit Suzana de l’Asie centrale. Quant au chapitre consacré aux cannes, c’est une autre histoire de passion. Obligé de tenir une canne à un moment donné de son parcours, Salmawy est tombé amoureux de cet art. Il est allé découvrir cet univers également artistique où l’on excelle dans l’emploi de l’argent, de l’ivoire ou du cuivre, et où la « tête » de la canne est tantôt une couronne ou un être fantastique, tantôt elle prend la forme de tête d’animal, chien, serpent ou gazelle. Audelà de l’usage utilitaire, il existe toujours la recherche de la beauté.

Mémorabilia. Sélection des collections artistiques de Mohamed Salmawy et Nazli Madkour. Photographies de Emad Abdel-Hadi, documenté et commenté par Magda Saad Eldine. Editions El Karma, 2022.

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