« L’histoire récente de l’Afghanistan peut être envisagée comme une suite de tentatives infructueuses, visant à établir un Etat moderne, lequel adopte les fins d’un tierce extérieur ». Tel est le résumé de l’ouvrage du journaliste indépendant Khaled Mansour, Min Taliban ila Taliban. Mochahadate Amel Ighassa fi Afghanistan (de Talibans aux Talibans. Observations d’un travailleur humanitaire en Afghanistan), récemment mis à jour afin de mieux répondre aux questions de l’actualité.
L’auteur aborde, en toute subtilité, l’histoire du pays ravagé par les conflits : une guerre civile entre les différentes factions, d’une part, et une guerre contre les grandes puissances qui cherchent à mener à bien leurs desseins, depuis plus d’un demi-siècle, d’une autre part.
Khaled Mansour a transcrit ses observations alors qu’il était en mission auprès des Nations- Unies, en Afghanistan, vers la fin des années 1990 et le début de l’année 2000. La première édition de ce livre date de 2010. Puis, avec le retour des Talibans au pouvoir, en août 2021, Mansour a pensé remettre son livre à jour, en ajoutant des références sur l’histoire, la politique, ainsi que des rapports de presse publiés par les organisations internationales travaillant sur le terrain. Ceuxci viennent corroborer les faits racontés dans son journal intime, en tant que travailleur humanitaire. Ayant vécu dans le pays, pendant plus de trois ans, durant et après la première ère du régime taliban, il cite des détails poignants. L’ouvrage focalise surtout sur les quarante dernières années de l’histoire de l’Afghanistan depuis l’invasion soviétique, les années du djihad et l’émergence des Talibans, ensuite l’occupation américaine et le renversement des Talibans en 2001, jusqu’à leur retour en 2021.
Selon Mansour, la composition tribale de la société afghane, la succession de conflits civils et les interventions étrangères ont compliqué toute action humanitaire. Ce qui a abouti à une situation désastreuse. Les pénuries et les vagues de sécheresse ont fait en sorte que les Afghans ne trouvent que « les cigales mélangées avec des herbes pour se nourrir ». Mansour mentionne qu’un de ses collègues du domaine humanitaire qu’il a rencontré à Kandahar, au sud d’Afghanistan, lui a assuré que « la campagne américaine a été un succès militaire, mais c’était un désastre en termes de conditions humanitaires et de droits de l’homme ». Les missions humanitaires étaient également difficiles à cause des instructions radicales des Talibans. Ils interdisaient que les agents humanitaires rencontrent les femmes, « et donc il était impossible à Kaboul d’entrer dans les maisons des veuves pour observer comment elles vivent, tant qu’il n’existe pas d’hommes avec elles ». Cependant de peur de l’annulation des aides humanitaires, les Talibans finissaient d’accepter qu’ils s’introduisent dans les maisons de veuves, à condition d’être accompagnés de femmes afghanes durant les visites.
D’une guerre à l’autre
Selon l’auteur, l’Afghanistan a subi des guerres successives depuis le XIXe siècle. A la suite de la seconde guerre angloafghane, les Britanniques ont privé l’Afghanistan de certains territoires.
Le pays devient un Etat tampon entre l’Empire britannique et la Russie, entre 1879 et 1919, tout en demeurant indépendant sur le plan de la politique intérieure. En 1919, le pays récupère le contrôle de sa politique étrangère et rejoint, en 1921, la Société des Nations. Puis, dans les années 1970, la République d’Afghanistan a été proclamée. L’intervention soviétique en Afghanistan s’inscrit dans le contexte de la Guerre froide : les Etats-Unis soutenaient le Pakistan face à l’Inde, et l’ex-Union soviétique soutenait l’Afghanistan qui avait, depuis 1919, des revendications territoriales sur les régions pachtounes du Pakistan. En 1979, les troupes soviétiques sont intervenues militairement en Afghanistan. Une longue guerre a opposé les Soviétiques et les forces communistes afghanes aux moudjahidines, armés et soutenus par le Pakistan, les Etats-Unis, la Chine et l’Iran. Les forces soviétiques se sont retirées du pays en 1989. L’Etat islamique d’Afghanistan a été instauré en 1992, mais une nouvelle guerre civile a opposé les différentes factions et les affrontements se sont poursuivis dans Kaboul entre Talibans, forces du gouvernement (Massoud) et moudjahidines (Hekmatyar). Les Talibans en ont profité pour prendre le pouvoir en 1996. Mais la lutte contre eux s’est poursuivie. Fin 2001, leur régime a été défait par une coalition internationale menée par les Etats-Unis.
Pendant vingt ans, les Talibans ont mené une longue guérilla. Et en 2021, les Etats-Unis ont retiré leurs troupes, ce qui a permis aux Talibans de reprendre le pouvoir à Kaboul sans combat. En raison de problèmes de sécurité intérieure, de corruption et de son historique de conflits et d’occupations, le pays est en 2021 l’un des plus pauvres de la planète. Il est entièrement dépendant de l’aide internationale.
« La majorité des souffrances humaines que j’ai remarquées lors de mon travail sur le terrain, dans plusieurs régions du monde durant les dix dernières années, pauvreté, famine et maladie … sont causées par les êtres humains et ne sont pas le résultat direct d’inondations, de tremblements de terre, de sécheresse ou de la cruauté de la nature », souligne l’auteur, qui a inclus dans son livre des photos prises en Afghanistan, montrant la distribution d’aides et la souffrance des civils sur tous les plans.
Min Taliban ila Taliban. Mochahadate Amel Ighassa fi Afghanistan (de Talibans aux Talibans. Observations d’un travailleur humanitaire en Afghanistan), de Khaled Mansour, aux éditions Al-Maraya, 2022, 282 pages.
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