La mosquée Ibn
Touloun, un joyau
de l’architecture
islamique.
A peine trois jours après sa parution, le nouveau roman de Reem Bassiouney est réédité par la maison Nahdet Masr. Al-Qataie. Solassiyet Ibn Touloun (Al-Qataie. Trilogie d’Ibn Touloun) s’inscrit toujours dans la lignée des romans historiques dans lesquels excelle l’auteure. D’ailleurs, sa première trilogie sur les Mamelouks a été un succès et lui a valu le prix Naguib Mahfouz, décerné par l’Université américaine du Caire (AUC), pour l’année 2020.
Les événements du nouvel ouvrage se déroulent comme l’indique son titre à Al-Qataie, la ville construite par Ahmad Ibn Touloun, pour être la capitale de l’Egypte, durant le règne de la dynastie qu’il avait fondée. La période entre 868 et 905, où se situe le roman, fut assez importante. Car Ibn Touloun a cherché à être indépendant par rapport aux califes abbassides. L’auteure raconte toujours l’histoire par l’intermédiaire de gens simples, plutôt que de gouverneurs. « En tant qu’académicienne et romancière, je trouve un grand plaisir en creusant dans l’histoire. Souvent, je n’arrive pas à arrêter. J’ai beaucoup lu sur Ahmad Ibn Touloun, j’ai aussi lu sur les Egyptiens qui vivaient en son temps, car de nombreux changements sociaux se sont produits au cours de cette période », souligne Reem Bassiouney lors de la soirée de dédicace organisée à l’occasion de la sortie de son ouvrage. Et de préciser : « La langue a changé, du copte vers l’arabe. C’est-àdire la culture copte qui était encore très présente a reculé. Je pense que l’histoire peut s’écrire avec les peuples gouvernés, et non avec les gouvernants. C’est ce que j’essaie de faire à travers mes romans. Ici, la ville, même si elle n’a pas duré longtemps, rassemblait toutes les races et les cultures de la terre. Tout le monde coexistait, sans problème ».
Selon l’écrivaine, Ibn Touloun a aimé l’Egypte et l’a même considérée comme sa patrie. Il a réussi à rendre le pays prospère sur tous les plans. Pourtant, la dynastie toulounide n’a duré que 37 ans, et la ville d’Al-Qataie a été rasée par les Abbassides. Il n’en reste actuellement que la mosquée d’Ahmad Ibn Touloun.
L’auteure évoque d’abord l’état de l’Egypte avant l’arrivée d’Ibn Touloun (venu de l’actuel Ouzbékistan), ainsi que les défis qu’il a relevés. Puis, dans un deuxième temps, elle décrit comment il a réussi à contrôler le pays et à bâtir sa capitale. Ensuite, elle s’attaque aux tentatives des Egyptiens de préserver le rêve d’indépendance d’Ibn Touloun, jusqu’à la chute de l’Etat.
L’histoire d’une mosquée
Le roman s’ouvre sur une histoire vraie. Le roi Fouad 1er, sultan d’Egypte entre 1917 et 1922, a déclaré son indépendance à partir de cette dernière année et fut appelé le roi d’Egypte et seigneur de la Nubie. En 1918, lorsqu’il a commencé à vouloir s’émanciper du califat ottoman, il a décidé de faire la prière du vendredi dans la mosquée d’Ibn Touloun. Et ce, après une longue absence. En faisant les travaux n é c e s s a i r e s pour préparer la mosquée à la prière, un mur ancien d’Al- Qataie a été découvert, il était construit dans le style de Samarra, l’une des plus grandes villes de la Mésopotamie. Des va-etvient entre les d i f f é r e n t e s époques s’imposent.
Et progressivement, l’auteure introduit ses personnages : Maysoune, Anas, l’architecte copte Saïd Ibn Katib Al- Ferjani, Aïcha, fille d’Ahmad, ainsi que Abdel-Rahman et d’autres. Ceuxci nous aident à mieux comprendre le dessein historique et les fins politiques d’Ibn Touloun, l’exemple de tout gouverneur aspirant à l’indépendance. En 868, le calife abbasside Al- Moatassem a décidé d’envoyer son beau-fils, Ahmad Ibn Toulon, en Egypte. Ce dernier n’avait alors qu’un seul rêve : être le seul maître sur place. Il était commandeur de l’armée et devait tenir la prière du vendredi (Wali Al-Jaysh Wal Salate), mais les prérogatives fiscales, notamment foncières (Al-Kharaj), restaient concentrées entre les mains du puissant fonctionnaire Ibn Al- Modabbir, en poste depuis 861.
Ce dernier était très impopulaire pour avoir doublé les taxes et en avoir créé de nouvelles. La trilogie raconte alors comment le peuple égyptien en a souffert et comment Ibn Touloun et ses compagnons transmettaient sa détresse au calife abbasside. Et enfin, Ibn Al- Modabbir est parti pour la Syrie. Pour affirmer son pouvoir, Ibn Touloun a bâti sa nouvelle ville sans siège, près de son aînée Al-Fostat, en 870. Il y a construit un nouveau palais, en a fait le siège de l’armée et a embauché des Egyptiens parmi les rangs de cette dernière. Il y a également construit des marchés, un hôpital, un hippodrome, ainsi qu’une mosquée qui porte son nom et qui se distingue par un minaret à escalier en forme de spirale. L’auteure décrit la mosquée, son immense cour entourée de portiques et ses décorations. Au milieu de la cour intérieure se dresse un dôme avec quatre entrées en arcades et abritant en son centre une fontaine pour les ablutions. Bref, elle tente de restituer dans la mémoire toute sa gloire passée. Ibn Touloun entretient de bonnes relations avec les coptes, notamment les moines. D’ailleurs, c’est l’architecte copte Saïd Ibn Katib Al-Ferjani qui a construit Al-Qataie. Le roman montre comment les Egyptiens, qui ont apprécié Ahmad Ibn Touloun, l’ont soutenu et défendu jusqu’au bout. Mais en fin de compte, ils n’ont pu sauver que sa mosquée, témoin d’une époque où l’Egypte n’était plus une province dépendante du califat ●
Al-Qataie. Solassiyet Ibn Touloun (Al-Qataie. Trilogie d’Ibn Touloun), de Reem Bassiouney, aux éditions Nahdet Masr, 2021, 704 pages.
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