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Eric Zemmour : Une imposture française

Amr Hegazi, Dimanche, 28 novembre 2021

Le polémiste-chroniqueur Eric Zemmour, potentiel candidat à la présidentielle française, qui se croit investi de la mission quasi mystique de sauver la France, fait encore parler de lui. Son oeuvre La France n’a pas dit son dernier mot reste fidèle à ses idéaux d’extrême-droite.

Eric Zemmour

La France n’a pas dit son dernier mot d’Eric Zemmour suit un schéma chronologique qui le mène de l’année 2006 à l’année 2020. Son cheminement est un compte-à-rebours. Ecrit à la va-vite, le livre obéit à une finalité à la fois personnelle et politique, elle-même commandée par un certain calendrier: avril 2022, soit le premier tour de l’élection présidentielle française.

C’est un hymne permanent à une France imaginaire, personnelle, fantasmée, truffé de citations empruntées aux « grands hommes » de la nation. Il présente un récit précis et circonstancié de ses rendez-vous avec le Tout-Paris dans les restaurants chics de la capitale. (On voit tour à tour l’auteur engloutir une délicieuse pizza, dévorer un inoubliable poisson, avaler une délicieuse crème glacée ; les estomacs fragiles peuvent en éprouver de l’indigestion). C’est aussi une attaque en règle de l’étranger « insoluble » dans le grand bain national, de l’apatride, du musulman, des gauchistes, des féministes, des homosexuels, des centristes, des gens de droite, de l’extrême droite devenue « sage », de l’islamisme tentaculaire, des juges, des journalistes, des intellectuels et de tous les Français qui ne partagent pas sa vision. Ça en fait du monde! Réquisitoire sans nuances contre ceux qui n’adhèrent pas à sa conception: le fameux grand remplacement en oeuvre qui démolit la nation française pour faire place nette à la nation islamique. Voilà le livre.

Celui qui s’exprime est un idéologue. Eric Zemmour est devenu, à force de visibilité dans les médias, l’idéologue en chef de la nouvelle extrême droite française qui séduit non seulement dans la droite qu’on croyait modérée, mais jusque dans les rangs d’une certaine gauche islamophobe et raciste. Il s’en défend: « Je suis au coeur de ce que les médias appellent, avec une emphase imbécile et sectaire : l’extrême droite ». Tout en n’hésitant pas à déclarer: « Cette extrême droite qui fut autant à Londres qu’à Vichy, et dans les maquis bien avant que les communistes n’y vinssent » (page 262). Observez cet imparfait du subjonctif …

Que faut-il comprendre? Que l’extrême droite d’avant-guerre a été héroïque pendant la Seconde Guerre mondiale? L’histoire ne nous enseigne-t-elle pas, au contraire, que ce sont les communistes français qui ont payé le tribut le plus lourd durant la Résistance et que le général De Gaulle, qui n’avait pas d’affection particulière pour le parti communiste, a été le premier à devoir composer avec eux et, d’ailleurs, a été le premier à reconnaître leur valeur et leur patriotisme? Mais comme le dit Eric Zemmour lui-même : « L’ignorance historique autorise l’impudence et l’indécence le dispute au grotesque » (page 309).

Préjugés

En effet, ses leçons d’histoire sont une bouillie où tout et n’importe quoi est passé au mixeur de ses préjugés idéologiques et personnels. Un exemple. Relatant une rencontre (dans un restaurant parisien, encore une !) avec l’avocat franco-algérien Karim Achaoui intitulée avec esprit « Indigestion à l’avocat », notre polémiste nous raconte que pris à parti à propos du Décret Crémieux de 1870 naturalisant français les juifs d’Algérie, supposés avoir été préférés par la République française aux musulmans, il aurait répondu : « Et j’avance mon arme fatale dont il n’a jamais entendu parler: le statut personnel. Cet ensemble de règles, d’origine religieuse, qui régentaient la vie des communautés indigènes sous l’autorité du colonisateur. Pour devenir citoyens français, les juifs ont accepté (certains rechignaient, bien sûr, en particulier les rabbins) de s’en défaire » (page 220).

Ce qu’il ne dit pas, c’est que les trois Consistoires israélites des départements français d’Algérie étaient régentés par le Consistoire central de métropole dès 1862 et qu’à partir de 1903, les grands rabbins étaient nommés par décret du président de la République. Ce qui veut dire que c’est la métropole qui imposait ses rabbins. Les autorités coloniales ont donc fabriqué un « assentiment » des juifs d’Algérie qui n’allait absolument pas de soi comme le prétend l’auteur et qui n’était ni volontaire ni majoritaire. Les « indigènes », qu’ils aient été juifs ou musulmans, se sont vus imposés en Algérie le bon vouloir du colonisateur et ses calculs politiques. Voilà la vérité historique.

La France est assurément une grande nation, elle l’est aujourd’hui comme elle le fut hier. Instrumentaliser son histoire à quelque fin que ce soit n’est pas la grandir, ni la respecter. Son poids dans l’histoire humaine se mesure dans ce génie qu’elle a eu très tôt (au moins, dès le XIIe siècle) de se rendre audible et utile à tous les hommes. La politique l’a par moments élevée et par moments abaissée, voire détruite. L’imposture est là, dans l’aventure personnelle qui se maquille en amour de la nation. Des impostures françaises ont eu lieu qui ont souillé ce pays, « françaises » parce que le fait de Français (de souche ou de branche comme dit l’auteur) ; car par nature et de façon organique, ce grand pays est divers, ouvert, généreux. On n’entend jamais le nom de Montaigne dans les pages érudites de Monsieur Zemmour, Montaigne qui disait dans Des Noms : « Qui empêche mon palefrenier de s’appeler Pompée-le-grand ? » .

La France n’a pas dit son dernier mot, d’Eric Zemmour, aux éditions Rubempren 2021, 352 pages.

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