Le prix Nobel de littérature a été décerné, jeudi 7 octobre, à l’écrivain tanzanien Abdulrazak Gurnah, 73 ans. A Stockholm, le jury de la plus haute récompense littéraire a sacré l’auteur, né en 1948 sur l’île de Zanzibar, pour ses récits sur le post-colonialisme en Afrique de l’Est et le destin difficile des réfugiés. Le jury a loué sa narration « empathique et sans compromis des effets du colonialisme et du destin des réfugiés pris entre les cultures et les continents », précisant que son oeuvre s’éloigne des « descriptions stéréotypées et ouvre notre regard à une Afrique de l’Est diverse culturellement, qui est mal connue dans de nombreuses parties du monde ».
Abdulrazak Gurnah, lauréat du Nobel, contre toute attente.
Ce prix a pris tout le monde de surprise. De nombreux critiques et éditeurs ont avoué qu’ils ne connaissaient pas l’écrivain, absent de la liste des pronostics jusqu’à la dernière minute. Son propre éditeur en Suède, Henrik Celander, a expliqué à la presse suédoise qu’il n’aurait jamais imaginé qu’il décroche le graal littéraire. « J’ai cru à une blague », a même confié Gurnah, qui a affirmé par la suite dans une interview à la Fondation Nobel que l’Europe est censée réviser sa position sur la question des réfugiés : « Beaucoup de ces gens qui viennent, viennent par nécessité, et aussi franchement parce qu’ils ont quelque chose à donner. Ils ne viennent pas les mains vides ».
Gurnah est arrivé au Royaume-Uni en tant que réfugié à la fin des années 1960. Il est l’auteur, depuis 1987, de dix romans, dont Paradise (1994) et Près de la mer (2001), et de nouvelles. Il est également l’auteur d’Adieu Zanzibar (Galaade), récompensé en 2007 par le prix RFI Témoin du monde. Ayant des origines yéménites, Abdulrazak Gurnah a fui son pays cinq ans après l’indépendance, à un moment où les musulmans étaient persécutés. Il n’a pu revenir à Zanzibar qu’en 1984. Dans ses textes, il s’interroge sur le sort des réfugiés, « le hiatus culturel et géographique, entre vie passée et nouvelle vie ». « C’est un état d’insécurité qui ne peut jamais être résolu », estime l’Académie suédoise.
Le choix de celle-ci a fait des échos sur la toile, notamment sur Facebook où plusieurs internautes arabes ont jugé qu’elle « a fait d’une pierre plusieurs coups. En choisissant un Africain, musulman, d’origine arabe, qui écrit sur les réfugiés, elle a comblé plein de lacunes et peut reposer sur ses lauriers au moins pendant deux décennies ! ».
Une littérature peu reconnue
L’écrivain vit actuellement à Brighton. Jusqu’à sa retraite, il était professeur de littérature anglaise et postcoloniale à l’Université du Kent, à Canterbury. C’est un fin connaisseur de l’oeuvre du Nobel de littérature nigérian Wole Soyinka et du Kényan Ngugi wa Thiong’o, qui figurait parmi les favoris de cette année. Peu connu du grand public, Gurnah écrit en anglais. Il ne dispose que d’une notice Wikipédia de quelques lignes. Les quelques livres traduits en français ne sont plus disponibles. Et on ne peut pas trouver en Egypte des traductions arabes de ses oeuvres, et ce, même s’il a rendu visite au Caire, en 2016, dans le cadre d’une conférence sur la littérature africaine, organisée par la faculté de lettres de l’Université du Caire. A cette occasion, la librairie Kotob Khan à Maadi l’a accueilli pour une rencontre-débat, animée par la critique Chérine Aboul-Naga, avec une lecture de quelques extraits de ses livres. L’éditrice et propriétaire du Kotob Khan, Karam Youssef, déplore d’ailleurs : « Nous traitons la littérature africaine non sans dédain, cependant, elle offre des textes qui nous sont plus proches que d’autres issus des pays du Golfe, par exemple. Parmi nos éditions, il y a plusieurs oeuvres africaines traduites vers l’arabe, mais les lecteurs ne s’y intéressent pas particulièrement ». Un avis partagé par Chérif Bakr, responsable de la maison d’édition Al-Arabi, qui a écrit sur son compte Facebook : « Les lecteurs arabes ont les yeux rivés sur l’Europe (le rêve), ou sur l’Amérique latine (l’exotisme), ou sur l’Asie (ces gens bizarres qui vont d’un succès à l’autre), mais ils regardent l’Afrique avec mépris, pour ne pas dire racisme ».
Sur les dix derniers prix Nobel, six étaient européens. L’Académie suédoise rompt donc avec cette habitude. L’Afrique était considérée comme le parent pauvre de ce prestigieux prix puisque, avant le couronnement de Abdulrazak Gurnah, seuls quatre auteurs du continent (les Sud-Africains Nadine Gordimer en 1991 et J.M. Coetzee en 2003, l’Egyptien Naguib Mahfouz en 1988 et le Nigérian Wole Soyinka en 1986) avaient reçu la récompense.
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