L’ouvrage de Chihab El Khachab, Making Film in Egypt (tourner des films en Egypte), est à plus d’un titre remarquable. Fruit de ses recherches doctorales, il s’agit d’une tentative de lier les constituants du terrain comme objet/sujet anthropologique et les processus de la production cinématographique. L’auteur propose une réflexion sur les modalités du passage à la création cinématographique égyptienne tout en se fondant sur les bases de la théorie de l’anthropologie visuelle. Cette dernière réside dans la capacité des formes visuelles (particulièrement le film et la vidéo) à devenir un médium reconnu de l’anthropologie— un moyen d’explorer les phénomènes sociaux et d’exprimer la connaissance anthropologique du cinéma en Egypte.
Ainsi, El Khachab a dû rencontrer des producteurs, des cinéastes, des caméramans, des ouvriers, etc. pour s’arrêter sur l’industrie en général. D’ailleurs, pour examiner la question de manière plus approfondie, il a assisté à deux projets de tournage de A à Z, les deux films : Décor (2014) d’Ahmad Abdallah, avec Khaled Aboul-Naga et Houriya Farghali; et Ward Masmoum (2018) d’Ahmad Fawzi Saleh, avec Ibrahim Al-Naggari et Marihan Magdi.
A travers 253 pages, Chihab El Khachab esquisse un portrait de l’industrie cinématographique égyptienne en abordant 6 axes constituant les 6 chapitres de l’ouvrage. Le premier chapitre porte sur l’économie politique de l’industrie, avec notamment un recul historique permettant d’appréhender la source des capitaux sur lesquels elle se fonde, ainsi que l’histoire de la mise en marche du studio Misr dans les années 1930. Le deuxième chapitre est consacré aux processus suivis au cours de l’élaboration d’un film, ceci en définissant la répartition du travail et en soulignant les modes d’apprentissage qui diffèrent selon le contexte et le type de la personne novice en la matière.
El Khachab affirme par exemple être chanceux d’avoir accès à une société de production grâce à des relations personnelles, et raconte comment le fait d’avoir le statut d’un doctorant lui a permis d’être aux côtés du cinéaste et de la star. Cependant, ce n’est pas toujours le cas quand il s’agit d’un apprenti qui cherche à s’infiltrer dans les lieux. Cette question de modes d’apprentissage conduit l’écrivain à aborder la hiérarchie dans cette industrie et son rapport au niveau du savoir-faire. Ainsi, il a recours aux notions sociologiques françaises « habitus » et « savoir-faire » en soulignant l’importance de distinguer entre les deux: avoir de l’habitus (la manière d’être, l’ensemble des habitudes et des comportements acquis par un individu ou un groupe d’individus) ne veut pas dire forcément avoir du savoir-faire.
Pour avancer dans son explication, Chihab se trouvait dans l’obligation d’emprunter des mots à l’arabe au sein de son texte écrit en anglais, ce qui montre la spécificité du contexte traité. Les séquences opératoires sous-jacentes transformant le scénario en un film y sont aussi examinées méticuleusement jusqu’à arriver même à traiter les outils et/ou les appareils utilisés lors de ces cycles, entre autres papiers, téléphones, laptops, moniteurs et caméras. Le troisième chapitre est plutôt centré sur le rapport de ceux qui font partie de l’industrie à la technologie. Ceci à travers des histoires illustrant leur appréhension, mais aussi dévoilant des hypothèses contrastées témoignant de la fracture numérique générationnelle.
El Khachab entreprend d’y revisiter l’industrie de par le budget, l’organisation des journées de tournage, les problèmes survenus, etc. dans le quatrième chapitre. Quant aux cinquième et sixième chapitres, il y aborde la visualisation des créateurs de l’industrie du projet en tournage et l’imagerie mentale qu’ils ont à propos du public de leur projet.
L’ouvrage propose une nouvelle approche à travers un travail ethnographique— peu commun— au niveau du contexte cinématographique égyptien, qui permet une compréhension de la pratique cinématographique en Egypte et invite à repenser l’industrie .
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