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Aux origines du féminisme tunisien

Dina Kabil, Mardi, 20 avril 2021

L’association Zanoobya, dirigée par Zeynab Farhat, a publié un ouvrage collectif, Bnat Essiassa, qui relate les témoignages des militantes de gauche des années 1970. Retour sur un document précieux contre l’oubli.

Aux origines du féminisme tunisien

Elles étaient des étudiantes en Tunisie qui se sont engagées dans le travail politique et ont rêvé d’un avenir meilleur. Appartenant au même mouvement intellectuel d’opposition intitulé Perspectives, Al-Amel Al-Tounsi (perspectives, l’ouvrier tunisien), elles partageaient de nombreux points en commun : élevant haut le même « non » catégorique d’Antigone. En effet, l’image d’une Antigone qui paie le prix de son audace et de son sens du devoir est bien claire tout au long de l’ouvrage important Bnat Essiassa (les filles de la politique). Ces virtuoses activistes dans le mouvement estudiantin tunisien, qui ont fait des études en philosophie, histoire ou littérature, ont été emprisonnées entre 1974 et 1975, torturées puis ont perdu leur carrière, interrompu leurs études ou se sont trouvées affaiblies par les années de prison. Car en 1963, une génération en entier s’est opposée au système politique et a appelé pour l’indépendance du syndicat estudiantin. De là est née la revue Perspectives, Al-Amel Al-Tounsi, qui a regroupé les membres marxistes les plus radicaux et dont les membres sont victimes de la répression sous Habib Bourguiba qui, pourtant, a fait des acquis en faveur de la femme (voir sous-encadré).

Les « perspectiviennes », comme on les appelait, n’ont pas lâché les bras, la majorité des détenues politiques de Perspectives, Al-Amel Al-Tounsi sont passées, aujourd’hui et depuis quelques années, du travail politique des partis vers la lutte civile pour mener la bataille de la culture et du changement des préjugés à travers le mouvement féministe l’engagement syndical dans l’Union générale tunisienne du travail ou dans les organisations des droits humains. C’est ce qu’explique Zeynab Farhat dans son introduction du livre : « Parce qu’elles se rendent compte que le pari du changement, le vrai, se concrétise dans les tréfonds du socioculturel plutôt que sur la surface du politique. C’est pourquoi nous retrouvons nombreuses d’entre elles à l’origine du mouvement féministe tunisien ».

Convoquées à un atelier d’écriture au théâtre El Teatro par sa directrice Zeynab Farhat, les militantes de l’ancien Perspectives sont invitées à rendre leurs témoignages sur les années de répression. Pour la première fois, six femmes se sont réunies à « l’atelier des Antigone » pour écrire un chapitre important de l’histoire tunisienne : Amal Ben aba, Dalila Mahfouz, Zeynab el Charny, Sassia el Roueissi, Aïcha Velouse, Leila Temim Belili, et édité par l’Iraqienne Haïfaa Zenkana. L’atelier s’avère telle « une voie salutaire pour guérir du passé et se libérer des cauchemars ». Au début de l’atelier, et outre les souvenirs de la torture corporelle systématique, Amal avait un trauma de l’écriture, parce qu’à chaque fois, elle remémore comment en prison on l’intimidait, la menaçait pour tracer sur papier son parcours de militante et révéler les noms de leurs camarades.

Zeynab el Charny remonte à l’année 1970, lorsqu’elle a rejoint le mouvement des étudiants marxistes à la Sorbonne, à Paris. On est en pleine effervescence de 1968, mais en plus il y avait une lourdeur qui pèse partout. Elle raconte le jugement des étudiants communistes en 1967, la rébellion contre la répression des Etats-Unis de toute résistance au Vietnam, et surtout la marche des membres de Perspectives en soutien de leur collègue condamné à 20 ans de travail forcé pour avoir osé organiser une manifestation pacifique contre la défaite arabe contre Israël.

Avec la sortie de cet ouvrage à Tunis, puis sa traduction en français, le premier pas est franchi. On ne peut plus faire taire ces témoignages, ils resteront à jamais un acte de résistance contre l’oubli.

Bnat Essiassa, l’histoire des militantes de Perspectives, Al-Amel Al-Tounsi des années 1970, édité par Haïfaa Zenkana, éditions Zanoobya, Tunis, 2020

Repères historiques

Dans un chapitre révélant les toiles de fond historiques, Leila Temim révèle le paradoxe d’un régime progressiste qui a, pourtant, férocement réprimé la gauche tunisienne. En 1957, Habib Bourguiba a introduit le Code du statut personnel, un corpus juridique qui se place en faveur des droits des femmes : le droit de divorce, le rejet de l’obligation au mariage et l’abolition de la polygamie. En plus du droit de la femme aux élections. Deux ans plus tard, l’enseignement est modernisé, ainsi que le système de santé. Pourtant, il manque à toutes ces réformes une vision d’ensemble du modèle du développement économique. Au bout de 8 ans de bureaucratie, de corruption et de révoltes dans la campagne marginalisée, le régime bourguibien a avoué l’échec du socialisme et a viré vers l’économie libérale. Cette ouverture au libéralisme et à l’impérialisme américain s’est débarrassée de tout ce qui rappelle à l’opposition et à ceux et celles qui prêchent pour l’indépendance du pays.

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