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Traversées du desert

Rasha Hanafy, Mardi, 02 mars 2021

Le nouveau roman de l’écrivain égyptien Hatem Hafez, Ka Qetta Taabor Al-Tariq (comme un chat traversant la route), aborde des personnages avec lesquels on s’identifie facilement. Ils sont tourmentés par un sentiment de solitude à l’épreuve de l’exil.

Traversées du desert

Traverser veut dire avoir la capacité de prendre une décision, de se libérer du passé et de déterminer le chemin à prendre. Il faut surtout avoir le courage de franchir le pas. Tel est le message transmis par le nouveau roman de l’écrivain Hatem Hafez intitulé Ka Qetta Taabor Al-Tariq (comme un chat traversant la route), publié aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya. Les personnages du roman sont essentiellement des expatriés. Chacun fuit sa propre guerre à la recherche d’une bouée de sauvetage, pour sortir de l’enfer dans lequel il vit ou pour mettre terme à la confusion et à l’inquiétude qui le rongent. L’auteur pense que ceux qui parviennent à emprunter un nouveau chemin ou à prendre des décisions courageuses sont comme les chats qui hésitent tout d’abord à traverser la route afin de chercher de quoi survivre, puis finissent par se lancer dans l’aventure et atteindre leurs buts. « A vrai dire, la décision de traverser la route exige beaucoup de courage, on se proclame prêt à courir des risques. Personnellement, je ne sais pas si j’ai le courage qu’il faut, car je suis un chat qui est resté longtemps dans le même endroit, sans bouger ... De toute façon, (…) soyez prêts à naviguer à tout moment, si vous sentez que vous n’êtes pas arrivés au bon port … Ce n’est jamais trop tard », affirme l’auteur par le biais de Michel, l’un des principaux personnages du roman.

Ces derniers vivent différents types d’expatriation. Chacun d’entre eux est marqué par une souffrance, mais ils s’accordent tous à donner sens à leur vie. On a affaire également dans le roman à d’autres personnages secondaires qui se trouvent dans l’obligation de changer complètement de route, contre leur volonté. L’Egyptien, Ihab, fait semblant d’être un Indien pour décrocher un emploi, mais il finit par se libérer des contraintes. L’Américano-tunisienne, Néama, voulait retourner dans son pays d’origine, mais s’est trouvée dans l’obligation d’aller en France pour des raisons liées à la sécurité. L’Iraqienne, Sohayla, directrice d’une maison d’édition, pense que son pouvoir de licencier ou d’embaucher des employés la rend capable de contrôler la vie des autres. Olga, une migrante de la Biélorussie qui a perdu son mari, à peine arrivée à Paris, estime que l’exil est la garantie d’une vie heureuse.

Fuite en avant

Le roman est divisé en deux parties : la première est narrée par les deux personnages principaux, Michel et Alia. Et la deuxième partie, par un narrateur omniprésent, qui sait tout ce que les différents personnages pensent. Son point de vue narratif permet de faire plonger les lecteurs dans les dessous de l’histoire, les accompagne dans leurs réflexions sur la psychologie des personnages, sur leur passé et leur futur, etc.

Alia, jeune Syrienne fuyant l’enfer de la guerre dans son pays, se déplace au Liban, puis en Suisse, où elle a obtenu le droit d’asile. Elle a failli être la victime d’un crime d’honneur, mais a réussi à se sauver. Elle travaille à Paris comme traductrice dans une maison d’édition, qui s’intéresse à la littérature arabe. Elle reste, cependant, partagée entre la nostalgie d’une famille éparpillée entre Beyrouth et Le Caire et la peur d’un lendemain brumeux et confus.

Elle n’arrête pas de se déplacer d’un pays à l’autre. Dès qu’elle quitte un endroit, elle décide de l’oublier, peut-être par peur de s’attacher aux lieux et aux gens. Puis un jour, on lui demande de traduire un roman qui se déroule en Syrie. Elle redécouvre tant de lieux qui ont été complètement détruits ou qui simplement n’existent plus. Pour elle, son absence n’a jamais été aussi réelle. Sous le choc, elle ne rêve que d’avoir un endroit auquel elle appartient et qu’elle ne devra pas quitter.

Alia est effrayée, comme un chat, de se retrouver soudainement sous les roues d’une voiture en traversant d’un endroit à un autre. Elle est convaincue qu’elle doit mettre le passé de côté pour refaire sa vie dans un autre pays avec Michel, son amoureux fidèle. Ce dernier, musicien français, avait été secoué auparavant par l’infidélité de son ancienne épouse. Il a quitté son travail et a décidé de se laisser aller, entouré des photos de ses musiciens et compositeurs préférés, tous morts. Il fait la rencontre de Alia et sa fille Leila, en Suisse. Il tombe amoureux des deux, mais hésite à déclarer sa flamme, encore traumatisé par les séparations qui ont marqué sa vie. Alia et Michel finissent par réussir leur traversée vers l’amour et par tourner la page du passé. « A partir de ce moment, vous pouvez confirmer votre présence. Et comme un chat de la rue, vous pouvez traverser la route, car il y a une chance inouïe qui vous attend à l’autre bout du chemin », affirme l’auteur dans le roman, invitant le lecteur à ne pas gâcher sa vie, à cause de l’indécision et de la peur de ne pas réussir ou de ne pas pouvoir faire table rase du passé. L’écrivain Hatem Hafez nous incite à aller de l’avant.

Ka Qetta Taabor Al-Tariq (comme un chat traversant la route), roman de Hatem Hafez, aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya, 2021, 264 pages.

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