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La vie politique, un bal de Kafka

Aïcha Abdel-Ghaffar, Mardi, 23 février 2021

Les mémoires du diplomate et politologue égyptien Moustapha Al-Fiqi proposent un voyage riche dans l’histoire contemporaine de l’Egypte. Fin narrateur, il nous mène de bout en bout dans son jeu.

La vie politique, un bal de Kafka

Moustapha Al-Fiqi est un diplomate chevronné, mais aussi un conteur habile, doté d’une très belle plume. Ses mémoires qui viennent de paraître aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya nous emmènent dans les coulisses du monde politique arabe et égyptien, à travers le temps et les divers régimes. Influencé par Kafka, il emprunte parfois à cet écrivain majeur du XXe siècle sa manière de décrire le monde indéchiffrable qu’il contemple du haut de ses 75 ans. Pour lui, la vie est comme un songe, l’extérieur s’inverse en un bal masqué, où les masques sont les visages, et il en a honte.

Tout au long des 20 chapitres qui constituent l’ouvrage, Al-Fiqi, actuellement président de la Bibliothèque d’Alexandrie, livre son témoignage sur l’histoire du pays, appuyé par des photos rares de ses archives personnelles. Il relate ses années d’université autour de 1960, ses études supérieures effectuées à Londres entre 1974 et 1977, puis ses débuts en tant que diplomate. Il y aborde aussi notamment les 8 ans qu’il a passés à la présidence, dans le cabinet de Hosni Moubarak en tant que secrétaire, chargé des informations. Ceci dit, il a connu de près plusieurs événements tumultueux et a noué de bons rapports avec les hautes autorités religieuses chrétiennes et musulmanes.

Al-Fiqi ne manque sans doute pas de s’attarder sur les raisons de son départ de la présidence, nous plongeant à nouveau dans les labyrinthes du palais d’Al-Ittihadiya. A d’autres moments du livre, il évoque son expérience de parlementaire, en présence de plusieurs députés appartenant à la confrérie des Frères musulmans. Et raconte par ailleurs les stratagèmes qui l’ont écarté de la présidence de la Ligue arabe. Une partie de l’ouvrage représente son point de vue sur les soulèvements du 25 Janvier 2011 et du 30 Juin 2013. Tantôt, il a adopté le rôle de l’historien averti, tantôt celui du romancier qui se plaît à raconter ce qu’il a vécu, de manière limpide. Al-Fiqi ressemble à ces savants encyclopédistes d’autrefois, touchant profondément à plusieurs domaines.

Il cite entre autres le poète libanais Khalil Gibran : « Chaque hiver abrite en son coeur un printemps qui frissonne et derrière le voile de chaque nuit se profile une aube souriante ». Et ce, pour passer d’une période à l’autre, d’une phase à l’autre, à commencer par son enfance passée dans un village du gouvernorat de Béheira (dans le Delta). Il tient à exprimer son attachement à la ville de Damanhour, où il a passé ses études pendant les cycles préparatoire et secondaire, avant de se rendre au Caire pour se joindre à la faculté d’économie et de sciences politiques.

Regard sur l’ère nassérienne

La vie politique, un bal de Kafka

Pendant ses années universitaires, il a adhéré à l’Internationale de la jeunesse socialiste. Il raconte alors son contentieux avec Ali Sabri, une personnalité influente de l’époque qui a occupé plusieurs postes-clés, lorsqu’il lui a demandé durant l’une des réunions de l’Internationale de la jeunesse socialiste où sont passés les étudiants portés disparus, et a proposé d’ouvrir une enquête dessus. Depuis, il n’a plus jamais été convié à d’autres réunions.

Nous plongeons donc dans l’ère nassérienne, avec ses hauts et ses bas. L’auteur dénonce la propagande gouvernementale, qui tournait les défaites en victoires, à tout bout de chant. L’échec de l’union entre l’Egypte et la Syrie (février 1958-septembre 1961) a constitué une vraie « gifle » pour le régime égyptien, qui a trouvé en la guerre du Yémen une occasion de se redorer le blason, quelques années plus tard.

Al-Fiqi se montre assez critique à l’égard du régime nassérien, lui préférant de loin l’Egypte libérale entre 1919 et 1952. D’ailleurs, sa thèse a porté sur cette époque et le rôle du parti Al-Wafd (la délégation), fondé par le leader de la Révolution de 1919, Saad Zaghloul. Ses tendances libérales expliquent en quelque sorte l’admiration qu’il voue pour Sadate, le considérant comme « le héros de la guerre et de la paix » et le mettant sur un pied d’égalité que Mohamad Ali, le fondateur de l’Egypte moderne. En fait, il se considère comme nassérien émotionnellement parlant, mais sadatien, sur le plan cérébral.

L’auteur ne manque pas également de soulever certains points positifs de l’époque Moubarak, notamment en ce qui concerne Al-Azhar, l’Eglise et la justice. Il aborde aussi les centres de la décision en Egypte. Donc, tantôt nous sommes dans les coulisses du monde arabe, tantôt en Inde, où il a été en poste à l’ambassade d’Egypte, apprenant tant de choses sur les plans professionnel, familial, humain et philosophique. Le diplomate et analyste fin partage ses idées et ses émotions, non sans recul. Il laisse sous-entendre qu’il a toujours accepté le destin et que tout semble gravé dans le livre de la fatalité.

Al-Riwaya Réhlette Al-Zaman wal Makan (mon histoire, un voyage dans le temps et dans l’espace), de Moustapha Al-Fiqi, aux éditions Al-Masriya Al-Lobnaniya, 500 pages.

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