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Mourid Al-Barghouthi : Un balcon qui cherche sa maison détruite tel est mon cœur

Traduction de Mohamed Sehaba, Mercredi, 17 février 2021

Le poète palestinien Mourid Al-Barghouthi est décédé dimanche 14 février à l’âge de 76 ans. Nous republions ici l’un de ses plus célèbres poèmes.

Mourid Al-Barghouth

Dans la poésie de Mourid Al-Barghouti, le collectif et l'intime s'unissent pour dépeindre le drame d'une patrie sans perdre de vue l'unicité de la condition humaine.

La maison de Raad

A la maison pleine de beauté

Je suis revenu, épuisé, comme

tous ceux qui reviennent.

Je me suis assis là où retentit la voix

de la sage-femme : C'est un garçon !

Son nom est Mourid !

Un instant, j'ai oublié le sombre

nuage de l'âge

Mes souvenirs remontant à l'enfant

Qui, de son berceau gothique,

Erra dans le pays, serein et contraint,

Puis revint.

La maison Raad est en éternel

bâtie de pierre

Ses couleurs sont foncées

et en vestige

Certaines sont un sourire échappé

aux pleurs.

D'autres sont douces comme

la caresse de l'abricot

Certaines sont chargées

tel un nuage annonçant la pluie

Au crépuscule, avec les derniers

rayons du soleil

On croirait ses coupoles faites d'or

L'herbe envahit tant ses murs

Qu'elle semble vouloir les protéger

du déshonneur

Vieillesse têtue ?

Ou ruse de la rosée à étaler

son œuvre inaltérable

A travers le cycle des âges ?

Et le seuil

Est le divan des grands-mères

Et la chaire des conciliabules

et des médisances campagnardes

Et le seuil

Différence entre jouissance

et déception de la mariée

Et le seuil

Est allusion du passage d'un cercueil

porté vers le délice de l'amandier

Ou l'aversion du cactus

Et le seuil

Adolescent qui lit le courrier

D'analphabètes connaissant

le sens de l'amour,

Avec un regard sur les lignes

Et un autre sur les trésors

de séduction

Que des femmes délivrent

Au moment de l'écoute

Et le seuil

Pénible rupture

Entre la grande jarre et l'opéra

entre le soc de la charrue

Et le Alef

Et le seuil

Notre chemin vers ...

Ai-je dit qu'il y avait dans la cour,

un figuier ?

Et que nous faisions la course

aux oiseaux

Pour atteindre son aube plus haute

que le minaret du muezzin ?

Ses branches étaient notre théâtre

d'été

Ou notre refuge

Contre l'ennui des enfants

pour les hôtes de leurs parents.

Sombre ou lumineuse,

Une forêt dans un arbre

Sous lequel nous avons grandi

comme s'il était tout le pays

J'ai crié en moi-même :

« Et pourquoi les coupez-vous ? »

Comment cet arbre a-t-il pu mourir

Comme n'importe quelle fleur

d'un vieux manteau ?

Comme n'importe quelle chatte

à la croisée des chemins

Aujourd'hui en meurent-ils d'autres ?

Depuis longtemps,

Je crois que la mort a fait de nous

son peuple.

Son amour pour nous est-il tribu

de pioches ?

As-tu remarqué que les maisons

sont sa famille ?

Car, si elles l'abandonnent elle

part aussi

Et qu'elle peut reprocher et punir

Comme le bébé qui repousse

le sein de sa mère

Parce qu'elle l'a fait attendre

Avec un regard

De faim

De colère ?

Qui a besoin de qui

Ici ?

L'étranger retournera-t-il à l'endroit d'où il vient

Son souffle y reviendra-t-il ?

Bientôt

La fatigue se dissipera

O notre maison

Bientôt

La fatigue reviendra.

Août 1996

(Les gens dans leur nuit)

Radwa

Dans la nuit des villes, sur son métier

à tisser

Radwa tisse une toile

Dans sa tête, des couleurs vives

Et une nation en deuil.

Dans la nuit des villes,

avec son métier à tisser

Dans sa tête, un bleu aux contours

flamboyants

Un mélange d'orange crépusculaire

Et de turquoise précieux

Une fleur faite de paroles blessées

La pureté éclatante d'un blanc,

aussi doux qu'un pansement.

Dans la nuit des villes, avec son

métier à tisser,

Dans sa tête, un lotus trempé d'eau

Le vert d'un thym

L'aurore de laine qui traverse

les barreaux d'une fenêtre

Dans sa tête, la couleur du safran

Qui vous répondrait si vous l'appeliez

Un palmier taquinant un nuage

arrivé à sa hauteur

Entre ses mains, le métier à tisser

est las

Elle entremêle fils et couleurs

Satisfaction et déception, mais

Dans la nuit des villes

Elle désire couvrir, d'une toile,

l'étendue

Dessiner une épée que porterait

la main du Christ

Avec les tintements de l'obstination.

26 mars 1987

(La Diaspora a trop duré)

La fille

La fille qui ne nous a rien promis

La fille qui cherche ses traits

A travers un corps qui résonne

de cloches stridentes

Et une âme dont l'inconsistance

est timidité ou peine

Au matin, la fille, avec à son bras

Une corbeille de figues au léger

balancé,

Va à la maison de sa grand-mère

La fille dont les jupes lui

inspirent de l'aversion pour les vents

La fille à qui on a interdit de rire

bruyamment

A qui on a appris de se satisfaire

du licite

A s'habituer à avoir des remords

Les barricades l'ont cachée à la vue

des soldats

Mais elle s'est dévoilée

elle-même ...

Par le drapeau !

15 mars 1988

(Le Son de l'aiguille)

Trahison

Ils lui ont dit :

La ville que tu cherches

Se trouve à mille milliers de lieux

d'ici.

Il a parcouru alors, mille milliers

de lieux

Mais n'a point trouvé de ville !

Il les dévisagea

Il voulut les blâmer

Mais il était

Mais ils étaient

Ils étaient, tous, en train de rendre

l'âme

3 avril 1978

(Les Poèmes du trottoir)

Une fleur

Les avions nous ont surpris

Ils se sont approchés

Ils ont volé bas

Puis sont partis subitement

....

Village ? Ou cadavre ?

Cadavre ? Ou Braise ?

Les pierres sont mortes, et sont

mortes les amours

Ni les amoureux, ni les poules,

Ni les brebis

N'ont survécu sur la colline aride.

Mais

Dans les décombres de ce décor

qui s'enfonçait dans le silence

Dans le vent qui sifflait par moments

Nous a surpris

Une fleur !

13 avril 1987

(Les Poèmes du trottoir)

Le miroir

Le miroir dit

Comme je suis triste !

Aucun de ceux qui me regardent

Ne veut me voir !

(La Parole des créatures)

Le balcon

Un spacieux balcon près de l'océan

La brume du matin lui donne

une couleur particulière

Et l'embrun de la nuit lui en apporte

une autre

Le fracas des vagues sur les rochers

Ne le laisse ni dormir ni se reposer

Un balcon distrait par les vagues,

mais craintif

Tel est mon cœur

*******

Un spacieux balcon près

des montagnes

On y prend son café du matin

La première éclaircie du soleil lui

demande la permission d'apparaître,

Et de traverser les remparts

de la ville ;

Qui a dressé contre elle cette lumière

jusqu'à ce que

Le lever du jour ne la surprenne

par un nuage

Sombre montant de derrière

les montagnes ?

Un balcon pour une femme

Un balcon pour les amis

Un balcon sur lequel tombe toute

branche cassée par la tornade

Les volées d'oiseaux y cherchent-elles

des graines ?

Est-il une forêt ? Qui s'y empresse ?

Qui, à la tombée de la nuit, appelle

au secours ?

Voilà les enfants : leurs querelles

s'y prolongent

Ils posent des questions

Ils meurent, ressuscitent, et encore

posent des questions

S'agit-il d'un murmure qui, effrayé,

Devient assourdissant ?

Ou est-ce la voix qui, effrayée,

Redevient murmure ?

Qui arrive vers moi,

Le visage calme et les mains

tendues ?

Vois-je la silhouette de mon ami

Ou vois-je celle de mon ennemi,

Ou est-ce mon reflet dans ce miroir

qui se brise dans ma main en

deux morceaux ?

**********

Un balcon qui cherche sa maison détruite

Tel est mon cœur

27 mars 1978

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