A la maison pleine de beauté
Je suis revenu, épuisé, comme
tous ceux qui reviennent.
Je me suis assis là où retentit la voix
de la sage-femme : C'est un garçon !
Son nom est Mourid !
Un instant, j'ai oublié le sombre
nuage de l'âge
Mes souvenirs remontant à l'enfant
Qui, de son berceau gothique,
Erra dans le pays, serein et contraint,
Puis revint.
La maison Raad est en éternel
bâtie de pierre
Ses couleurs sont foncées
et en vestige
Certaines sont un sourire échappé
aux pleurs.
D'autres sont douces comme
la caresse de l'abricot
Certaines sont chargées
tel un nuage annonçant la pluie
Au crépuscule, avec les derniers
rayons du soleil
On croirait ses coupoles faites d'or
L'herbe envahit tant ses murs
Qu'elle semble vouloir les protéger
du déshonneur
Vieillesse têtue ?
Ou ruse de la rosée à étaler
son œuvre inaltérable
A travers le cycle des âges ?
Et le seuil
Est le divan des grands-mères
Et la chaire des conciliabules
et des médisances campagnardes
Et le seuil
Différence entre jouissance
et déception de la mariée
Et le seuil
Est allusion du passage d'un cercueil
porté vers le délice de l'amandier
Ou l'aversion du cactus
Et le seuil
Adolescent qui lit le courrier
D'analphabètes connaissant
le sens de l'amour,
Avec un regard sur les lignes
Et un autre sur les trésors
de séduction
Que des femmes délivrent
Au moment de l'écoute
Et le seuil
Pénible rupture
Entre la grande jarre et l'opéra
entre le soc de la charrue
Et le Alef
Et le seuil
Notre chemin vers ...
Ai-je dit qu'il y avait dans la cour,
un figuier ?
Et que nous faisions la course
aux oiseaux
Pour atteindre son aube plus haute
que le minaret du muezzin ?
Ses branches étaient notre théâtre
d'été
Ou notre refuge
Contre l'ennui des enfants
pour les hôtes de leurs parents.
Sombre ou lumineuse,
Une forêt dans un arbre
Sous lequel nous avons grandi
comme s'il était tout le pays
J'ai crié en moi-même :
« Et pourquoi les coupez-vous ? »
Comment cet arbre a-t-il pu mourir
Comme n'importe quelle fleur
d'un vieux manteau ?
Comme n'importe quelle chatte
à la croisée des chemins
Aujourd'hui en meurent-ils d'autres ?
Depuis longtemps,
Je crois que la mort a fait de nous
son peuple.
Son amour pour nous est-il tribu
de pioches ?
As-tu remarqué que les maisons
sont sa famille ?
Car, si elles l'abandonnent elle
part aussi
Et qu'elle peut reprocher et punir
Comme le bébé qui repousse
le sein de sa mère
Parce qu'elle l'a fait attendre
Avec un regard
De faim
De colère ?
Qui a besoin de qui
Ici ?
L'étranger retournera-t-il à l'endroit d'où il vient
Son souffle y reviendra-t-il ?
Bientôt
La fatigue se dissipera
O notre maison
Bientôt
La fatigue reviendra.
Août 1996
(Les gens dans leur nuit)
Radwa
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Dans la nuit des villes, sur son métier
à tisser
Radwa tisse une toile
Dans sa tête, des couleurs vives
Et une nation en deuil.
Dans la nuit des villes,
avec son métier à tisser
Dans sa tête, un bleu aux contours
flamboyants
Un mélange d'orange crépusculaire
Et de turquoise précieux
Une fleur faite de paroles blessées
La pureté éclatante d'un blanc,
aussi doux qu'un pansement.
Dans la nuit des villes, avec son
métier à tisser,
Dans sa tête, un lotus trempé d'eau
Le vert d'un thym
L'aurore de laine qui traverse
les barreaux d'une fenêtre
Dans sa tête, la couleur du safran
Qui vous répondrait si vous l'appeliez
Un palmier taquinant un nuage
arrivé à sa hauteur
Entre ses mains, le métier à tisser
est las
Elle entremêle fils et couleurs
Satisfaction et déception, mais
Dans la nuit des villes
Elle désire couvrir, d'une toile,
l'étendue
Dessiner une épée que porterait
la main du Christ
Avec les tintements de l'obstination.
26 mars 1987
(La Diaspora a trop duré)
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La fille
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La fille qui ne nous a rien promis
La fille qui cherche ses traits
A travers un corps qui résonne
de cloches stridentes
Et une âme dont l'inconsistance
est timidité ou peine
Au matin, la fille, avec à son bras
Une corbeille de figues au léger
balancé,
Va à la maison de sa grand-mère
La fille dont les jupes lui
inspirent de l'aversion pour les vents
La fille à qui on a interdit de rire
bruyamment
A qui on a appris de se satisfaire
du licite
A s'habituer à avoir des remords
Les barricades l'ont cachée à la vue
des soldats
Mais elle s'est dévoilée
elle-même ...
Par le drapeau !
15 mars 1988
(Le Son de l'aiguille)
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Trahison
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Ils lui ont dit :
La ville que tu cherches
Se trouve à mille milliers de lieux
d'ici.
Il a parcouru alors, mille milliers
de lieux
Mais n'a point trouvé de ville !
Il les dévisagea
Il voulut les blâmer
Mais il était
Mais ils étaient
Ils étaient, tous, en train de rendre
l'âme
3 avril 1978
(Les Poèmes du trottoir)
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Une fleur
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Les avions nous ont surpris
Ils se sont approchés
Ils ont volé bas
Puis sont partis subitement
....
Village ? Ou cadavre ?
Cadavre ? Ou Braise ?
Les pierres sont mortes, et sont
mortes les amours
Ni les amoureux, ni les poules,
Ni les brebis
N'ont survécu sur la colline aride.
Mais
Dans les décombres de ce décor
qui s'enfonçait dans le silence
Dans le vent qui sifflait par moments
Nous a surpris
Une fleur !
13 avril 1987
(Les Poèmes du trottoir)
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Le miroir
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Le miroir dit
Comme je suis triste !
Aucun de ceux qui me regardent
Ne veut me voir !
(La Parole des créatures)
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Le balcon
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Un spacieux balcon près de l'océan
La brume du matin lui donne
une couleur particulière
Et l'embrun de la nuit lui en apporte
une autre
Le fracas des vagues sur les rochers
Ne le laisse ni dormir ni se reposer
Un balcon distrait par les vagues,
mais craintif
Tel est mon cœur
*******
Un spacieux balcon près
des montagnes
On y prend son café du matin
La première éclaircie du soleil lui
demande la permission d'apparaître,
Et de traverser les remparts
de la ville ;
Qui a dressé contre elle cette lumière
jusqu'à ce que
Le lever du jour ne la surprenne
par un nuage
Sombre montant de derrière
les montagnes ?
Un balcon pour une femme
Un balcon pour les amis
Un balcon sur lequel tombe toute
branche cassée par la tornade
Les volées d'oiseaux y cherchent-elles
des graines ?
Est-il une forêt ? Qui s'y empresse ?
Qui, à la tombée de la nuit, appelle
au secours ?
Voilà les enfants : leurs querelles
s'y prolongent
Ils posent des questions
Ils meurent, ressuscitent, et encore
posent des questions
S'agit-il d'un murmure qui, effrayé,
Devient assourdissant ?
Ou est-ce la voix qui, effrayée,
Redevient murmure ?
Qui arrive vers moi,
Le visage calme et les mains
tendues ?
Vois-je la silhouette de mon ami
Ou vois-je celle de mon ennemi,
Ou est-ce mon reflet dans ce miroir
qui se brise dans ma main en
deux morceaux ?
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Un balcon qui cherche sa maison détruite
Tel est mon cœur
27 mars 1978
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