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Plonger dans la mémoire pour trouver la bonne voie

Rasha Hanafy, Mercredi, 09 décembre 2020

Le nouveau roman de Reem Bassiouney, Sabil Al-Ghariq. Al-Tariq wal Bahr (la borne-fontaine du noyé. Le chemin et la mer), invite les lecteurs à ne jamais omettre le passé, afin de ne pas répéter les mêmes erreurs que leurs prédécesseurs.

Plonger dans la mémoire pour trouver la bonne voie

Pour aboutir, il faut avoir la certitude. Le courage, la force et même l’espoir ne sont pas suffisants pour y arriver. C’est le message que l’on peut tirer du nouveau roman de Reem Bassiouney intitulé Sabil Al-Ghariq. Al-Tariq wal Bahr (la borne-fontaine du noyé. Le chemin et la mer), paru récemment aux éditions Nahdet Misr. La romancière et linguiste, professeure à l’Université américaine du Caire, mélange événements historiques et légendes gravées dans la mémoire collective égyptienne. « Il ne faut guère l’oublier. Il est indispensable de se rappeler l’histoire pour en dégager la leçon et ne pas répéter les mêmes erreurs ». L’écrivaine, lauréate du prix Sawiris en 2010 et celui de Naguib Mahfouz en 2020, a sélectionné deux événements remarquables de l’histoire du pays pour nous rafraîchir la mémoire.

Le premier remonte à 1882, à savoir le début de l’occupation britannique et le bombardement d’Alexandrie, avec comme objectif de contrôler le Canal de Suez et garantir l’accès aux Indes. Et le deuxième, en 1509, lorsque les Portugais ont vaincu les Mamelouks et les Vénitiens dans la bataille navale de Diu, en Inde. Ils voulaient assurer ainsi leur suprématie sur la route maritime commerciale du cap de Bonne-Espérance. Deux événements qui marquent la domination européenne sur les mers d’Asie, contrôlées alors par les Arabes et les Vénitiens.

Reem Bassiouney explique à travers le roman que « les Portugais ont fait le tour du monde et ont fait la guerre pour protéger leur route (cap de Bonne-Espérance). Le Canal (de Suez) est venu ensuite raccourcir le chemin et éliminer celui des Portugais. Il était donc nécessaire que les Anglais entrent (en Egypte) pour dominer la mer. Sans le passé, le présent n’aurait pas dû avoir lieu ». La romancière assure aussi qu’il faut toujours se battre en ayant la certitude de vaincre et que la défaite est souvent celle de l’âme, sous le poids du désespoir.

Bassiouney a choisi de recourir au conte populaire d’Al-Chater Hassan (Hassan le brave), afin de souligner le même message. « Quand tu te souviens du passé, tu seras plus alerte et tu trouveras la bonne voie pour t’en sortir. Si tu ne t’en souviens pas, tu continueras dans ta vie dans l’inconscience et tu seras pris par l’ampleur de ta défaite », affirme un vieux cheikh à Hassan, qui avait réussi à soigner la fille du Sultan, en abattant deux colombes, et s’est marié avec elle.

Reem Bassiouney a rendu Hassan le héros de son roman. Elle l’a appelé Hassan Abdel-Mawgoud, le serviteur de la fille d’un richissime commerçant, Ahmad bey Sabet. Hassan priait avec ce dernier, discutait avec le derviche soufi qui habitait la borne-fontaine. C’est grâce à ces conversations que Hassan a pris connaissance des histoires du passé et a acquis une véritable sagesse.

Entre vérités et légendes

Les bornes-fontaines, ces équipements publics et collectifs qui fournissaient l'eau aux habitants d’un quartier, étaient très répandues en Egypte depuis l’époque mamelouke. Le terme sabil signifie littéralement voie, route, chemin. Il a acquis plus tard le sens de borne-fontaine. En principe, l’eau du sabil provient d’une citerne au sous-sol, qui alimentait en eau un bassin où les tasses étaient remplies. On pouvait donc se servir en puisant à travers une grille. Et le sabil était souvent rattaché à un kottab pour apprendre le Coran, à lire et à écrire ; des derviches venaient souvent y méditer et prier Dieu.

Dans le roman, la borne-fontaine dont il s’agit est située au Caire, près de l’Arbre de Marie, dans le quartier de Matariya. Elle a témoigné de nombreux événements historiques qui, avec les propos des derviches, démontrent que le peuple égyptien a toujours tenté d’assurer la suprématie sur ses territoires et de contrôler ses richesses.

Le derviche de Sabil Al-Ghariq ne cesse de rappeler à Hassan Abdel-Mawgoud que « celui au coeur incertain se noie, car pour courir un risque il faut de la certitude » et que « la perte de mémoire est le début de l’effondrement ; la déformation de l’histoire mène inéluctablement à la défaite ». Hassan a bien appris les leçons du passé. Il s’est doté de la force, de l’intelligence, de l’espoir et de la certitude, pour instaurer la justice. Son épouse, Galila, a été la première fille égyptienne qui a eu accès au lycée, construit par la femme du khédive. Elle rêvait d’alphabétiser toutes les Egyptiennes. Hassan l’a tant aimée et désirée. Il est devenu lui-même un grand commerçant et conseillait à son fils aîné de poursuivre sa lutte contre les Anglais.

Le roman abonde en symboles. En Galila, le lecteur peut voir toute l’Egypte, avec ses gloires et ses défaites. Et en Hassan, le peuple égyptien, avec son courage, sa force et son amour pour la patrie. Il voulait avoir le contrôle sur la mer, sur la terre et expulser les occupants étrangers. L’écrivaine cherche à souligner qu’aux moments difficiles, l’Egypte doit plonger en son histoire, pour trouver une issue.

Sabil Al-Ghariq. Al-Tariq wal Bahr (la borne-fontaine du noyé. Le chemin et la mer), de Reem Bassiouney, aux Editions Nahdet Misr, 2020, 453 pages.

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