Comment peut-on avoir une vie de valeur et se différencier des autres êtres vivants de la planète ? C’est la question à laquelle le romancier égyptien Adel Esmat essaie de répondre à travers son dernier ouvrage Makhawef Nihayet Al-Omr (craintes de l’automne de la vie), publié récemment aux éditions Al-Kotob Khan. Ce recueil est composé de sept nouvelles qui ont en dénominateur commun « la mort du héros ». Il s’agit du deuxième recueil signé par l’auteur après Qossassate (fragments), paru en 2015. On y a affaire à des héros qui souffrent de crises existentielles, qui se demandant si leur vie a un sens, sans pour autant être dépressifs.
Adel Esmat ne transmet pas ces crises au lecteur dans un langage philosophique, mais le plonge plutôt dans le monde monotone des héros, et à travers cette monotonie, le lecteur se rend compte du volume des problèmes vécus par les personnages. L’écrivain se contente donc d’observer la vie de ses personnages. Il sélectionne des moments significatifs de leur routine quotidienne qui expriment bien leur vie. La vie des sept héros est en quelque sorte représentative de celle des petites villes et des villages égyptiens.
Lauréat du prix de l’Encouragement décerné par l’Etat en 2011, du prix Naguib Mahfouz en 2016 et du prix Sawiris en 2019, Adel Esmat est également l’auteur du roman Al-Wassaya (les recommandations), qui a figuré sur la courte liste du Prix international de la fiction arabe en 2019.
Il a eu recours, dans son dernier ouvrage en date Makhawef Nihayet Al-Omr, à plein de détails simples, mais chargés de connotations. On assiste ainsi à la confusion d’un expatrié qui n’arrive pas à interpréter son rêve ; l’inquiétude d’un Egyptien de retour chez soi après la guerre du Golfe ; la crainte d’une vieille dame des croassements de corbeaux, etc. Bref, certaines nouvelles ressemblent à des peintures riches en détails et proches du coeur, résumant les caractéristiques des êtres humains.
Aspirer à l’éternité
L’écrivain, dont certaines oeuvres ont été traduites vers l’anglais, le français, le serbe et le chinois, n’hésite pas à expliquer l’objectif de son livre à travers les paroles du héros de la nouvelle intitulée Qessate Al-Fagr (histoire de l’aube). Nessim Guirguis, un ancien détenu politique entre 1959 et 1964, y raconte son parcours et celui de ses compagnons à son voisin, fonctionnaire. Il considère ses années de détention comme la plus belle période de sa vie, un fait que le fonctionnaire n’arrive pas à saisir.
L’auteur explique le pourquoi à travers le dialogue entre les deux personnages : « Ce sont les années où je me suis ressenti fier, j’avais l’impression que je réalisais quelque chose et que ma vie avait un sens. Comment peut-on vivre et mourir comme n’importe quel autre être humain ? ». Nessim Guirguis meurt sans que son voisin-fonctionnaire comprenne comment la prison pourrait être aussi significative pour une personne. Mais à travers les histoires de Guirguis sur son passé, la lutte pour la liberté menée avec d’autres prisonniers, le lecteur parvient à en saisir le sens.
Dans la nouvelle qui prête son titre à tout le recueil, Esmat décrit les craintes d’une vieille femme, Enayat, qui s’oppose à la volonté de ses enfants et ses neveux de vendre la grande maison de famille. Ils veulent tous vendre et refaire leur vie ailleurs, en s’installant dans de nouveaux appartements, etc. Cependant, Enayat reste attachée à ses racines. « Ils doivent entretenir la maison, l’agrandir, au lieu de la vendre. Ils ne se rendent pas compte qu’ils sont en train de se déraciner, que chacun seul serait comme une branche sèche ». Enayat craignait le croassement du corbeau, qu’elle entend notamment le soir. Pour elle, il porte malheur, signifie la mort. D’ailleurs, l’un de ses neveux a vraiment trouvé mort, à la suite d’une crise cardiaque. Malgré tout, elle s’obstine : « Je ne vendrai pas la maison », dit-elle pour conclure.
Dans une nouvelle intitulée Hadisse Mariam (les propos de Mariam), l’auteur fait référence à une citation de Naguib Mahfouz, tirée du roman Le Voleur et les chiens : « Je ne désire plus que mourir d’une mort significative ». Et ce, pour réitérer son idée et celle de la journaliste Mariam, personnage principal de sa nouvelle. Elle essaie de résoudre le mystère du jeune Egyptien parti subitement pour la Palestine pour commettre un attentat-suicide.
Il n’avait jamais adhéré à un groupe terroriste. Mariam part à la recherche de ses vrais motifs : « Il est peut-être meilleur que nous tous. Peut-être s’est-il soudain rendu compte du sens précieux de la vie et que s’il continuait sa vie ici, il vivrait et mourrait comme nous tous, sans signification. Par contre, s’il mourrait là-bas, il donnerait un sens à sa courte vie. Par sa mort, il obtiendrait quelque chose de plus précieux ».
L’écrivain explique ainsi tout au long de son recueil que l’on peut donner chacun un sens à la vie, quels que soient les défis. C’est ce qui fait que certains parviennent à s’éterniser.
Makhawef Nihayet Al-Omr (craintes de l’automne de la vie), de Adel Esmat, aux éditions Al-Kotob Khan 2020, 164 pages.
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