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Nasser, 50 ans après

Lundi, 28 septembre 2020

Un demi-siècle après sa disparition, le 28 septembre 1970, le mythe Nasser reste très prégnant. La parution de l’ouvrage Nasser Archives Secrètes, par Hoda Abdel-Nasser, intervient à un moment où l’Egypte, entre critique et nostalgie, relève tant de défis régionaux, à l’ombre d’un contexte internatio­nal en mutation et de profonds bouleversements sociopolitiques.

Nasser, 50 ans après

Fille aînée et proche collaboratrice de son père, la politologue Hoda Abdel-Nasser est fascinée par le projet politique de celui-ci. En travaillant sur ce nouveau livre, son souhait était de publier en français une biographie très particulière de son aïeul, associant ses souvenirs aux papiers et documents laissés par lui, de manière à apporter un éclairage sur l’homme suscitant toujours tant de débats.

Nasser, 50 ans après

Quelques années après le décès de sa mère, en 1990, elle ouvre les tiroirs du bureau et les portes des armoires où Nasser rassemblait ses papiers et ses bandes d’enre­gistrement, dans leur maison de Manchiyat Al-Bakri, à Héliopolis. « J’abordais en effet des documents jusque-là inédits, tous de la plus grande confidentialité, notamment ceux que mon père avait rédigés de sa propre main : plus de 2 650 feuillets. Ces archives, il les avait écrites pour lui seul. Elles expri­ment en toute sincérité ses idées et sa com­préhension des choses », explique-t-elle dans la préface du livre.

Gardienne mais aussi analyste de cet héri­tage, Hoda Abdel-Nasser a passé plusieurs années à classifier les documents et à les mettre en ligne (www.nasser.org), pour qu’ils soient à la disposition des chercheurs avisés. Ces archives secrètes comme celles de Nixon, de Mitterrand ou d’autres présidents ne peuvent être abordées qu’en les confrontant à des sources diverses. Mais elles fournissent sans doute aux historiens des informations et des détails assez précieux.

Le livre, qui vient de paraître chez Flammarion, est divisé en trois grandes parties. Dans la pre­mière, l’auteure évoque la mémoire de son père, offrant aux lecteurs de le redécouvrir à travers ses yeux. La deuxième présente une sélection de documents et discours, commentés et « contextua­lisés » par Anne-Claire de Gayffier-Bonneville, historienne et auteure de l’ouvrage Histoire de l’Egypte contemporaine. Et la troisième reprend le journal inédit de Nasser, rédigé pendant la guerre de Palestine, entre le 3 juin et le 30 décembre 1948.

« La tension est sourde, mais à son paroxysme ». Cette phrase de Hoda Abdel-Nasser peut bien décrire toute la vie du Raïs qui a fini par succom­ber à une crise cardiaque, alors qu’il avait à peine plus de 50 ans. Et ce, à l’issue d’épuisantes tenta­tives de conciliation entre le roi Hussein de Jordanie et la résistance palestinienne, qui s’étaient affrontés au cours de combats meurtriers (Septembre noir). D’ailleurs, l’un des documents annexés au livre révèle le contenu d’un message oral adressé à Nasser au sujet de l’intervention des forces syriennes en Jordanie, pour prêter main-forte aux Palestiniens. Le chargé d’affaires de l’Union soviétique lui fait part du mécontente­ment des autorités soviétiques qui voient là un risque d’embrasement général de la région. Nasser déploie tout son talent et son énergie pour rappro­cher les parties.

Un autre document de l’annexe relate la ren­contre informelle du 10 juillet 1967 au Caire entre Nasser, le roi Hussein et le président algérien Houari Boumedienne. Les trois hommes font un état des lieux du monde arabe, au lendemain de la défaite. Nasser se dit beaucoup plus préoccupé de la situation de la Cisjordanie que celle du Sinaï, et engage le roi Hussein à rechercher un compromis.

Lettre de Khrouchtchev

Comme l’auteure, on assiste à l’Histoire qui s’écrit devant nous. Au moins, elle nous donne cette impression, nous plaçant dans la confidence, et nous expliquant que souvent, dans les coulisses, la diplomatie emprunte d’autres chemins. Là, par exemple, on a affaire à une lettre secrète adressée à son père par le président du Conseil des ministres de l’URSS, Khrouchtchev, pour dissiper un malentendu concernant la position de Nasser contre les par­tis communistes arabes. Ce der­nier lui a alors répondu par un long document de 63 pages, lui indiquant que l’ire égyptienne n’est pas dirigée contre le com­munisme comme croyance, mais contre l’activisme communiste des partis locaux. « Nous nous sommes trouvés obligés de défendre notre pays contre l’acti­vité des organisations communistes au sein des frontières de la République arabe unie et contre l’appui que vous avez procuré au parti », écrit Nasser, qui ne digérait pas l’attitude du Parti com­muniste syrien, lors de l’union entre l’Egypte et la Syrie (1958-1961), ce qui n’a pas tardé à froisser Moscou.

Souvent, Nasser se retrouvait dans des situa­tions difficiles. Il devait naviguer dans des eaux troubles, pour maintenir son indépendance, tirer profit du contexte de la Guerre froide, laissant la porte ouverte aux deux blocs antagonistes. C’était le jeu des va-et-vient diplomatiques, pratiqué avec subtilité par les non-alignés. Il fallait opter pour une troisième voie entre l’Ouest et l’Est et échap­per à la logique des blocs, d’où la naissance, en avril 1955, du concept du non-alignement, lors de la participation au Sommet de Bandoeng en Indonésie, avec Soekarno, Nehrou et Chou En-lai. Une alternative pour les pays en voie de dévelop­pement.

La liaison africaine

Etant convaincu qu’il fallait défendre les idéaux de liberté, un bureau de liaison africaine avait été mis en place. Nasser portait les aspirations des peuples qui sortaient de la période coloniale ; il était conscient que l’Egypte avait bel et bien trois dimensions : arabe, africaine et musulmane. Cela étant, il a joué un rôle important pour éviter le partage du Congo en 1960. Il n’a pas manqué d’intervenir et de prendre la parole devant l’As­semblée des Nations-Unies, dans cet objectif : « Nous voyons aujourd’hui le Congo vivre le com­mencement d’un colonialisme larvé qui n’hésite pas à manipuler les Nations-Unies pour cacher ses convoitises et mener des manoeuvres afin de réaliser ses objectifs. Le colonialisme tente à pré­sent d’utiliser les Nations-Unies comme l’un de ses masques ».

Quelques années auparavant, il avait étouffé dans l’oeuf les tentatives colonialistes pour rendre impossible tout accord sur la gestion de l’eau du Nil, entre Le Caire et Khartoum. Les Américains et les Britanniques essayaient de mettre en avant l’impact négatif du Haut-Barrage sur le Soudan, l’Ethiopie et l’Ouganda, pour semer la zizanie entre ces pays d’une part et l’Egypte d’une autre part.

Une époque révolue

Une autre crise avait éclaté avec l’indépen­dance du Koweït en juin 1961. Six jours plus tard, le leader iraqien Abdel-Karim Qassem demandait le rattachement du Koweït à l’Iraq, sous prétexte que ce territoire était historiquement une province de Bassora. Nasser a persévéré pour trouver une issue pacifique à la confrontation, il a insisté sur le fait que la solution reste interarabe, et il fut obéi.

On est loin de ces temps où le Proche-Orient et le Maghreb vibraient aux discours de Nasser. 50 ans après la mort de cette figure de proue du nationalisme arabe, ces crises restent d’une actualité brûlante. Car elles font écho à des défis actuels, dans un contexte extrêmement complexe, où l’on a hâte de parvenir à des solutions régio­nales. C’est peut-être l’intérêt de s’at­tarder particulièrement sur ces ques­tions, de les rappeler et d’aller au-delà des moments forts très connus de la vie de Nasser que le livre aborde sans nul doute. A savoir : la structuration du groupe des Officiers Libres et la Révolution de 1952 ; la nationalisa­tion du Canal de Suez ; la défaite du 5 juin 1967 « la plus longue journée dans l’histoire moderne des Arabes » ; sa démission et son retour à ses fonc­tions à la demande du peuple ; la bataille exténuante du Yémen compa­rée à celle de Waterloo.

Plutôt des phrases du genre « la paix ne veut nullement dire la capitulation ! » et « il est hors question de renoncer aux droits du peuple palesti­nien » nous interpellent. Encore une fois, l’on se rend compte combien on est loin de ces temps et qu’une page est définitivement tournée. L’adolescent qui jouait à Jules César sur les planches du théâtre du lycée, qui était fasciné par Voltaire et la Révolution française, qui lisait Victor Hugo, Charles Dickens et Jean-Paul Sartre, est mort il y a 50 ans d’une crise cardiaque !

L’histoire des deux chats

« Mon père aimait souvent évoquer une nou­velle de Moustapha Al-Rafeï, Hadisse Qettayne (ndlr : conversation de deux chats), qui met en scène le dialogue entre deux chats, l’un vivant dans la rue et peinant à survivre et l’autre gavé de nourriture et entouré de soins. Cette histoire un pan important de la personnalité de mon père : rester digne même dans la pauvreté, se construire même dans le dénuement et l’adversité. Ne jamais courber l’échine », se souvient Hoda Abdel-Nasser. N’empêche qu’à partir de 1961, notam­ment après l’échec de l’union entre l’Egypte et la Syrie, Nasser a radicalisé sa politique intérieure : nationalisation d’une grande partie du secteur privé, nouvelle phase de la réforme agraire, adop­tion d’une charte nationale résolument socialiste et création d’un nouveau front politique, l’Union socialiste, pour rassembler sous sa bannière tous les Egyptiens, dans un pays sans partis … Lui-même lorsqu’il a voulu faire le bilan des réformes entreprises, en 1964, il a constaté qu’il était peu positif, et que l’ambiance était « plus que morose », comme l’indique le livre.

La fille tente de se mettre à la place de son père, d’expliquer son point de vue sur les différentes situations ; elle aborde très peu les faiblesses de l’expérience nassérienne, mais sans doute ce n’est pas forcément à elle de le faire.

Dalia Chams

Nasser Archives Secrètes, par Hoda Abdel-Nasser, aux éditions Flammarion, 2020, 368 pages

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