Il suffit de regarder le titre Hélwa ya Baladi. Dalida en Egypte, pour sentir une profonde nostalgie. Les jolies photos du livre et la fameuse plaque sur la couverture apposée sur sa maison de naissance à Choubra, indiquant que l’une des grandes figures a « habité ici », tout cela transporte le lecteur dans un voyage au bon vieux temps rythmé par la voix sensuelle de Dalida.
On se rappelle tout de suite de l’ambiance de la communauté francophone d’Egypte. On ne sait pas pourquoi on ne peut s’empêcher de faire la liaison avec le documentaire de Marianne Khoury Let’s Talk. Il y a la même ambiance que l’on trouve dans le film qui relate le rapport entre les générations dans une famille francophone, celle de Youssef Chahine, dans les années soixante, et ses liens avec sa nièce, la réalisatrice du film. Le livre rappelle bien évidemment le rapport Dalida-Chahine à travers le film Le Sixième Jour, et surtout le succès imminent du Film Dalida, sorti en 2017 dans les salles du Caire, 30 ans après la mort de la diva. On dirait qu’un attrait spécial embaume les histoires de l’Egypte cosmopolite qui a embrassé les récits des Arméniens, des Italiens, des Français d’Egypte, de ces familles qui vivaient à la française (mal gré, bon gré). Ici, c’est une Française qui s’est passionnée pour l’histoire de Dalida.
Jacqueline Jondot, spécialisée en littérature arabe, docteur ès lettres en littérature anglaise. Elle est tombée amoureuse des dessous de l’histoire de cette star, Dalida, l’Italienne d’Egypte et plus particulièrement de Choubra. Tout en reconnaissant le nombre de documents artistiques, livres, films, articles et tubes relatant l’itinéraire de Dalida, Jondot pense qu’on a passé un peu vite la station égyptienne. « Peu de biographes de Dalida se sont attardés sur la vie en Egypte de la petite Italienne du Caire qui a réussi à Paris », dit-elle.
L’auteure relate comment est né son intérêt pour Dalida, puis rapporte son sentiment en écoutant en 2011 la chanson Hélwa ya Baladi : « J’ai grandi avec Bambino dans un village français où les immigrés calabrais étaient nombreux avant de m’intéresser à l’Egypte en tant qu’universitaire où j’ai recroisé Dalida avec le Sixième Jour (voir encadré). Puis plus tard encore, devant le minuscule écran de télévision de mon hôtel cairote, alors que la Révolution du 25 janvier 2011 battait son plein, c’est la voix de Dalida chantant Hélwa ya Baladi qui incarnait les espoirs d’une génération et son amour pour son pays ».
Pour Jondot, il y avait donc une urgence à partir à la recherche de Dalida, surtout après la disparition des témoins de son époque.
L’impact de Choubra
En suivant les traces de Dalida, l’auteure rend hommage aussi à un quartier qui a changé dramatiquement, celui de Choubra. Ce quartier, qui a perdu ses caractéristiques au fil des ans, s’est transformé ; d’un endroit abritant les familles aisées et des étrangers avant la Révolution de 1952, il est devenu un lieu déserté par les étrangers après l’attaque tripartite contre l’Egypte en 1956. Puis le bouleversement social qui a eu lieu à Choubra, à partir des années 1970, l’a complètement changé à tel point que « lorsqu’elle (Dalida) s’y est rendue, elle l’a à peine reconnu ». L’influence de ce quartier, avec ses nombreuses églises et où les familles chrétiennes étaient majoritaires, va laisser ses traces sur la vie de la vedette de la chanson, la seconde Cléopâtre, comme on l’a souvent surnommée. Elle est restée pieuse pendant toute sa vie.
Miss Egypte
En esquissant les grands traits du parcours de Dalida, de son vrai nom Iolanda Cristina Gigliotti, l’on reconnaît également une partie importante de la société de l’époque. Après une enfance heureuse dans le quartier de Choubra, son père Pietro Gigliotti est interné, pendant la Seconde Guerre mondiale, car l’Egypte est officiellement alliée à la Grande- Bretagne qui soupçonne les Italiens de rallier la cause de l’axe italo-allemand. Un premier drame qui va laisser ses traces sur toute la famille. La souffrance, le déchirement, les frustrations que l’on reconnaît dans les chansons de Dalida ont quelque chose avec son itinéraire depuis son jeune âge jusqu’à son suicide.
Son travail dans une maison de haute couture lui a valu l’élégance qui l’a marquée pendant toute sa carrière. Dalida sort en maillot de bain sur les pages du Journal d’Egypte, puis est élue Miss Egypte.
L’auteure relate des anecdotes vivantes qui reflètent la société égyptienne libérale des années 1940. Par exemple, Anjelo Boyadjian a organisé des concours pour les plus belles jambes, le beau maillot de bain et on a introduit le concours de Miss Egypte qui a auréolé Dalida. Le livre s’arrête sur l’expérience du cinéma international, avec de grands noms comme Howards Hawks en 1954. Les débuts de Dalida avec le cinéma égyptien n’étaient pas avec Chahine comme on le pensait, mais avec Niazi Moustapha dans Une Cigarette et un verre en 1955. Et après de nombreux rôles, de par le monde, le destin a voulu qu’elle fasse ses adieux à sa carrière, à sa terre natale et à ses amoureux. De grands adieux dignes du Sixième Jour.
Hélwa ya Baladi. Dalida en Egypte, par Jacqueline Jondot, éditions Orients, 2020, 127 pages.
Le Sixième Jour
Aujourd’hui en pleine pandémie de Covid-19, l’étrange coïncidence fait que l’on se souvienne de Dalida et de son film Le Sixième Jour, réalisé par Chahine, lequel se déroulait autour d’une autre pandémie : le choléra.
Dalida y joue le rôle d’une femme populaire, Saddiqa, incarnant la force, l’humour et la misère, elle ressemble à beaucoup d’autres femmes. Dans le film, elle est censée sauver son petit-fils du choléra. L’auteure, Jacquelin Jondot, relate que « la première mondiale du Sixième Jour eut lieu à Choubra le 29 septembre 1986, au cinéma Moderne. Dans une voiture décapotable, Dalida traversa l’artère principale au milieu d’une marée humaine. La presse égyptienne déclara : L’entrée de Dalida à Choubra vaut bien l’entrée de Cléopâtre à Rome, alors qu’en France, le Monde titrait : Dalida concurrence Moubarak ».
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