Le titre du dernier livre en date de Omar Taher capte l’attention. C’est souvent le cas avec ce dernier, journaliste, écrivain, poète et scénariste, apprécié notamment par les jeunes et par sa propre génération, étant né en Haute-Egypte dans les années 1970.
Man Allam Abdel-Nasser Chorb Al-Sagaër ? (qui a appris à Nasser de fumer?) est proche des titres des polars et des séries de dessins animés. Il n’est pas également sans rappeler les mimes ou mèmes d’Internet, en tenant compte notamment de la couverture du livre, signée par l’illustrateur Walid Taher. Celle-ci montre l’ancien président égyptien Nasser avec à côté un cendrier et une cigarette.
L’interrogation du titre, qui peut paraître frivole, n’est pas la seule, puisque chacun des chapitres du livre est introduit par une question assez curieuse: Pourquoi Sadate a-t-il choisi de descendre à l’aéroport Ben Gourion pendant la nuit? Est-ce que Naguib Mahfouz était un élève studieux ? Et ainsi, tout au long des dix-sept chapitres qui forment l’ouvrage.
Armée de son expérience de journaliste passionné d’archives, Omar Taher fait une balade dans les livres d’Histoire. Il s’arrête sur des détails anodins ou sur des notes de bas de page qui le frappent. Pour lui, c’est une trouvaille qui lui permet d’allier les faits de l’Histoire à son parcours personnel.
L’écrivain invite ainsi les lecteurs à revisiter l’histoire des ragots qui ont entouré certaines célébrités, telle la diva de l’Orient, Oum Kalsoum. Dans le premier chapitre, il aborde l’histoire d’amour entre Oum Kalsoum et le compositeur Mahmoud Al-Chérif. Il se réfère à un article de Moustapha Amin, publié dans le quotidien Akhbar Al-Youm, lequel a révélé cette relation qui a provoqué la mort de l’épouse du compositeur.
Un autre chapitre s’attarde sur les tentatives des services de renseignements, dans les années 1960, de recruter la star de cinéma Faten Hamama et de l’impliquer dans des affaires politiques. Apparemment, lorsque la comédienne a refusé d’accomplir ce genre de mission, on l’a punie en lui interdisant de jouer, ce qui l’a obligée de quitter le pays pour tourner des films au Liban, entre autres.
L’on se demande au fur et à mesure en lisant s’il s’agit de faits réels bien documentés ou de simples racontars, et s’il l’on a le droit de toucher aux personnalités publiques.
Justement Omar Taher semble vouloir ôter l’aura qui entoure ces dernières et de révéler les histoires qui sont restées longtemps sous silence. Il imagine par exemple les heures vécues par le président Sadate, à bord de son avion, avant d’arriver à l’aéroport de Ben Gourion et d’atterrir à Jérusalem. Et ce, avant de se lancer dans les accords de Camp David en 1979. L’auteur écrit à cet égard: « Je pense souvent pourquoi Sadate a-t-il choisi d’arriver aux territoires occupés pendant la nuit pour proposer la paix? Est-ce pour des raisons sécuritaires ou bien parce qu’il était plus à l’aise la nuit, comme ceux qui veulent commettre un vol ? ».
« Et si c’était le cas... »
L’écriture inclassable de Taher fait partie d’une vague de livres parues dernièrement, notamment aux éditions Al-Karma, qui consistent à mêler l’Histoire aux expériences personnelles, loin des fictions classiques et des romans. C’est ce que cherche à réaliser Omar Taher à chaque nouveau livre.
Après plusieurs recueils de poèmes, au début de sa carrière d’écrivain, il a publié le best-seller Chaklaha Bazét (ça a l’air d’être fichu), qui lui a valu un franc succès. Des textes nostalgiques des années 1970, épousant une voix rigolote et humoristique.
Puis, dans son Izaat Al-Aghani (la radio des chansons), il répertorie une liste de chansons qui lui sont chères et raconte ses histoires personnelles qui y sont liées. Et dans Kohl Wa Habahane (khôl et cardamome), c’est la nourriture qui est à la page, suggérant pas mal de recettes et d’odeurs.
Aujourd’hui, dans son nouveau livre, il cherche à dire la vérité des faits, loin de l’histoire officielle écrite par les dirigeants et leurs proches. Le credo de Taher est d’aller à l’encontre de ce que l’on pense normalement. Sa formule magique est: « Et si c’était le cas … ».
Dans l’un des chapitres, il aborde l’époque de la création du parlement égyptien par le khédive Ismaïl, au XIXe siècle. Et au lieu de répéter comme d’autres que c’était une manière de jeter les fondements de la démocratie moderne, il souligne que le khédive voulait calmer la colère du peuple provoquée par l’augmentation des impôts.
Un autre bienfait de cette manière de traiter l’Histoire est de s’intéresser aux notes de bas de page et d’aboutir à des conclusions intéressantes. Par exemple, il tente de donner une version différente, tout au long des chapitres, de l’histoire de Nasser et des Officiers libres qui ont réussi la Révolution de 1952. Il évoque aussi différemment la guerre d’usure, laquelle a été souvent marginalisée au profit de la victoire d’Octobre 1973.
Omar Taher rappelle aux lecteurs que la victoire de 1973 n’a pas été atteinte du jour au lendemain, mais qu’il a failli quelque 6 ans passés sur le front, après 1967. Une manière de dépoussiérer la mémoire .
Man Allam Abdel-Nasser Chorb Al-Sagaër ? (Qui a appris à Nasser de fumer ?), aux éditions Al-Karma, 2020, 206 pages.
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