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Au-delà des barrières

Dina Kabil, Samedi, 29 février 2020

Nadia Ghrab, l’ingénieure devenue écrivaine, signe son premier recueil de nouvelles en français. Installée en Tunisie, l’Egyptienne se balade ici entre le Vieux Caire, Sidi Bou Saïd et les ruelles parisiennes, animée par le désir de dépasser les frontières.

Au-delà des barrières

Dépassements est le premier recueil de nouvelles de Nadia Ghrab. Cette ingénieure, qui a fait une carrière scientifique, a décidé, une fois en retraite, de s’adonner à sa passion de toujours : l’écriture. Née en Egypte, elle a fait ses études universitaires à l’école polytechnique au Caire, puis a passé son doctorat en France, avant de s’établir en Tunisie. Là-bas, elle s’est spécialisée en énergie solaire à l’Ecole Nationale d’Ingénieurs de Tunis (ENIT) et est en particulier devenue spécialiste de l’utilisation de l’énergie solaire et toutes les ressources naturelles pour donner du confort thermique dans les bâtiments. Elle a été la première chef de département femme en Tunisie.

Le pourquoi de ce tournant de la vie scientifique vers la littérature, Nadia Ghrab le formule ainsi : « C’était très difficile de choisir entre bac littéraire et bac scientifique. Etant de la génération de Nasser à cette époque, on stimulait les citoyens à contribuer au développement de leur pays, j’ai donc fini par opter pour un bac scientifique. Dès que j’avais pris ma retraite, j’ai enfin essayé de satisfaire un désir très fort, celui d’écrire ».

Le titre du recueil, Dépassements, en dit long sur l’univers littéraire que Nadia Ghrab dépeint dans ses 8 nouvelles, mais aussi sur l’auteure elle-même qui, appartenant à trois pays, tente de dépasser les barrières culturelles, sociales, confessionnelles et ethniques.

Elle réussit dans chacune de ses nouvelles à dépeindre un univers particulier, unique, fort en couleurs et en parfums, mais elle est à chaque fois convaincue que l’amour et l’amitié transcendent les frontières étriquées. « Un pont n’est pas un refuge sédentaire. Lieu d’exil par excellence, il est quelque chose d’accueillant pour les nomades. Elle aime cette césure entre deux mondes, qui par moments les relie et par d’autres les sépare. Elle pense que les ponts lui appartiennent, qu’ils sont un lieu privilégié pour les questions sans réponses ». C’est ce que l’un de ses personnages, Asmahan, pense et qui fait écho avec le thème principal du recueil, celui de se surpasser, d’aller au-delà des limites conventionnelles.

Dans la nouvelle, Asmahan, Princesse des mille et une nuits, il s’agit d’une princesse des temps modernes, une Syrienne, fille d’Alep, qui perd son mari, jeune militant courageux, dans les trébuches postrévolutionnaires, puis se sépare de son enfant de cinq ans dans la course effrénée de rattraper les bateaux migratoires.

Au-delà des « frontières » proprement dites, de la guerre et de l’oppression, la foi dans l’amour et la fibre maternelle aident la mère à retrouver son fils au bout de 9 ans de recherche.

Dans Moha Chiche, il s’agit de deux êtres appartenant à deux mondes bien distincts, Moha Chiche, jeune jardinier innocent, s’identifiant à la mer et à la nature, et Agathe, la fille de son maître « innocente, rêveuse, déconnectée des réalités de ce monde ». Ils tombent amoureux l’un de l’autre, rêvent l’impossible, oublient les enclaves sociales, le rejet des pauvres et des sans-papiers.

Armés de leur amour, ils échouent à changer le monde, à franchir les préjugés et les excès du conservatisme. Ils finissent par décider de s’évader, et sur la barque qui devrait les ramener loin, vers la Sicilie, « quatre hommes cagoulés sautent », et puis il y a « un grand trou noir dans la tête » de la jeune amoureuse.

Un monde marin

Dans La Gardienne de phare, on peut relever un penchant féministe qui parcourt l’oeuvre. Il s’agit d’un métier pénible dans des conditions de vie douloureuses qu’elle attribue ici à une brave femme de la campagne. C’est un récit très réaliste se déroulant dans un univers féerique, à Belle-Ile-en-mer, où l’écrivaine recourt à un vocabulaire propre à cet univers marin, aux mots liés à la mer, aux coquillages, aux poissons, aux techniques de pêche et de navigation.

Une fois de plus, les barrières sociétales s’estompent à travers l’amitié. Le fossé qui séparait au début les deux jeunes femmes, Jeanne la gardienne de phare et Sarah la citadine, comédienne de théâtre, n’est que factice. Toutes les deux se rendent compte que les traits qui les lient sont plus solides que ceux qui les séparent.

Si la solitude et la mort restent des traits qui marquent les différentes nouvelles du recueil, c’est à travers le « dépassement » des frontières illusoires que l’écrivaine tente de contourner le mal de vivre, et de transcender la solitude intérieure.

Dépassements, recueil de nouvelles de Nadia Ghrab, aux éditions Arabesques, Tunis, décembre 2019.

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