La longue liste du Prix international de la fiction arabe, délivré par la Booker Prize Foundation à Londres et soutenu par la Fondation Emirates à Abu-Dhabi, a été révélée fin 2019. Sur les 16 romans sélectionnés, 7 viennent du Maghreb dont 4 algériens, alors que les autres sont signés par des auteurs tunisiens, marocains et libyens. Les oeuvres figurant sur la liste ont été sélectionnées parmi 128 romans ayant participé à ce concours littéraire. La liste comprend aussi 2 romans venus d’Egypte, 3 de la Syrie, 2 de l’Iraq, un de l’Arabie saoudite et un du Liban.
Les sujets traités sont majoritairement d’ordre historique ; les auteurs y abordent l’histoire et le patrimoine de leurs pays, à travers les siècles. Par exemple, dans le roman de la Libyenne Aïcha Ibrahim, Harb Al-Ghazala (guerre de la gazelle), il est question de la vie dans la Libye antique. L’écrivain égyptien Youssef Zeidan (lauréat du même prix en 2009) raconte dans son roman Fardeqan la période d’emprisonnement d’Avicenne dans le fort Fardeqan en Perse, où il a continué à rédiger ses ouvrages jusqu’à avoir pris la fuite.
Le monde arabe, qui n’a pas réussi à se moderniser, est raconté à travers les grands poètes arabes des siècles passés, dans le roman du Marocain Hassan Aourid, intitulé Rabat Al-Motanabbi (le Rabat d’Al-Motanabbi). Puis, c’est au Syrien Sélim Barakat de s’interroger : Maza An Al-Sayéda Al-Yahoudiya Rahil ? (qu’en est-il de la femme juive Rachel?). Ce dernier roman décrit la conjoncture politique en Syrie, quelques jours après la défaite de 1967, notamment la fuite des juifs vers la Turquie et le Liban. Quant à l’Algérien Salim Kacimi, il a préféré critiquer la situation sociopolitique dans son pays et le poids du religieux, à travers la fantaisie, dans son roman Salalem Trolar (les escaliers de Trolar), où toutes les portes des bâtiments, des prisons, des bureaux gouvernementaux et des maisons disparaissent, tout ce qui était caché derrière devient public. « Les oeuvres de la longue liste ne sont pas sans refléter les préoccupations du monde arabe, sa destruction et sa dévastation. Les histoires qu’elles narrent traversent les frontières du local, pour toucher ce qui compte aux yeux de tous les Hommes, un peu partout », a indiqué dans la presse Yasser Soliman, président du conseil d’administration du Prix de la fiction arabe.
Le traitement de thèmes historiques, en lien avec la conjoncture actuelle dans la région arabe, n’est pas une chose nouvelle dans les romans qui figurent tous les ans sur les listes du prestigieux Prix de la fiction arabe. Depuis sa création en 2007, la narration de faits historiques a été le facteur commun de la majorité des romans lauréats ou qui ont figuré sur les longue et courte listes du prix. Et ce, depuis le succès remporté par le roman de Bahaa Taher, Wahat Al-Ghoroub (oasis du couchant) en 2008. Puis, il en était de même pour Destins : Concert de l’holocauste et de la nakba de Rabai Al-Madhoun en 2016, et Courriers de nuit de Hoda Barakat en 2019.
Aussi est-il important de mentionner que le Maghreb est, depuis des années, davantage représenté par rapport à d’autres zones de la région arabe.
La question se pose également d’une année à l’autre : s’agit-il d’indicateur pour les tendances littéraires dans le monde du roman arabe ? Certains spécialistes, entre écrivains et critiques, rejettent complètement l’idée, mettant en doute la légitimité des comités de sélection, alors que d’autres ne peuvent ignorer le fait que les livres nominés pour ce genre de prix sont souvent sur la liste des best-sellers tout au long de l’année. Ils constituent une présélection effectuée au profit des lecteurs, même si elle ne représente pas toujours le meilleur choix à faire.
Lire selon le goût du jury
Dans le monde arabe, depuis plus d’une décennie, des prix littéraires ont été lancés pour récompenser la fiction arabe. Les plus grands sont parrainés par des pays du Golfe en particulier, comme le Prix Katara parrainé par le Qatar, le Prix de Cheikh Zayed par les Emirats arabes unis. Quant au Prix international de la fiction arabe, il est délivré par la Booker Prize Foundation à Londres, et soutenu par la Fondation Emirates à Abu-Dhabi. L’objectif déclaré de ces prix est de reconnaître et de récompenser l’excellence dans l’écriture de fiction arabe contemporaine. « Qu’il s’agisse du Booker arabe ou d’autres prix, il est question du goût des membres du jury, en place chaque année. Il y a quelque temps, un roman éliminé de la compétition du Prix Sawirès (NDLR: le résultat de ce prix annuel est prévu le 10 janvier à l’Opéra) était présent sur les listes du prix international de la fiction arabe. Les romans sélectionnés ne sont pas les meilleurs qui se trouvent sur le marché du livre, qu’il soit égyptien ou arabe », souligne le critique littéraire Chaabane Youssef.
En effet, parfois, les critères d’éligibilité soulèvent tant de débats: « D’après ce que j’ai remarqué, en ce qui concerne ces prix en général, il s’agit de romans de structure traditionnelle. La tendance conservatrice domine les choix, qu’il s’agisse de la structure, de la langue ou des sujets. Par exemple, les dialogues en dialecte égyptien sont peu appréciés, voire rejetés, cependant, celui-ci est bien compris et assimilé dans tous les pays arabes », indique le romancier Hamdi Abou-Jolayel. Chose qui, selon lui, ramène les techniques romancières au début du XXe siècle, avant les nouveautés introduites par les écrivains, après les années 1960 jusqu’à présent. Or, il y a ceux qui se sont libérés de la structure et de la langue classiques, ainsi que des sujets dits « objectifs ». Certains se sont concentrés sur l’individu et ses problèmes au quotidien. « On se demande parfois: l’objectif de ces prix serait d’imposer un style et un goût particuliers ? », s’interroge l’écrivain Mahmoud Al-Wardani.
Ce dernier n’hésite pas d’ailleurs à exprimer ses inquiétudes: « Je crains l’impact négatif de ces prix, parce que le romancier va rédiger son oeuvre selon les conditions d’éligibilité, exigées par un tel ou tel prix ».
Le lauréat du Booker arabe sera annoncé au printemps prochain. Il recevra 50000 dollars. Le jury est présidé par le critique iraqien Muhsen Al-Musawi, avec comme membres: le journaliste et critique libanais Pierre Abi-Saab, l’académicienne et traductrice russe Viktoria Zarytovskaya, le romancier algérien Amine Zaoui et la présentatrice de télévision égyptienne Rim Magued. Le choix de ces derniers influencera sans doute les ventes, qu’on le veuille ou pas. Et sans doute aussi, il engagera de multiples débats, qui sont rentrés dans les normes, car tellement à répétitions l
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