L’une des histoires d’amour de renom dans le patrimoine littéraire arabe est enfin disponible en français. Les Amours d'Antar et Abla, « ce sont les Roméo et Juliette de la littérature arabe », comme le dit l’écrivain franco-libanais Amin Maalouf, en commentant un concert autour du même thème. L’histoire d’amour d'Antar et Abla, qui remonte à la période antéislamique, au VIe siècle, côtoie aujourd’ hui celles de Tristan et Iseult, de Cyrano et Roxane ou de Qays et Laïla, grâce à la traduction et la présentation d’Isabelle Bernard et Waël Rabadi, aux éditions Orients. Ce grand volume de 502 pages est rythmé par des illustrations du peintre tunisien Ilys Messaoudi.
Il s’agit de l’histoire d’un amour interdit à cause des obstacles de rang social, d’esclavage et de moeurs de la vie tribale de la péninsule arabe de la période d’avant l’islam. Un amour amputé qui a donné naissance aux odes les plus influentes et les plus connues du poète Antara Ibn Chaddad, dont l’un des poèmes, moallaqates, ou chanson de geste arabe, a été affiché sur le mur de la Kaaba. Antar est le fils de l’émir de la tribu des Béni Abs et d’une esclave noire. Antar tombe amoureux de sa cousine Abla. Mais à cause de son origine illégitime et de la couleur de sa peau, le père de Abla a refusé leur union. Bâtard, esclave et noir, mais doué d’une prodigieuse force, d’un courage à toute épreuve, d’un sens de la liberté et d’une générosité sans limites, poussé par un amour chevaleresque pour sa cousine, Antar parvient, à force de prouesses, à se faire reconnaître par son père et épouser celle qu’il aime. La légende dit que Amara, l’un des soupirants de Abla, le tue et met fin aux rêves de bonheur du héros.
Il est vrai que la poésie de Antar a inspiré des artistes et hommes de lettres arabes à travers les différentes époques, mais surtout des orientalistes dont Lamartine. C’est pourquoi, dans le projet ambitieux du couple d’auteurs Waël Rabadi et Isabelle Bernard, visant à rendre les amours de Antar et Abla dans leur intégralité, le livre est enrichi du fragment du poème de Antar signé par Alphonse de Lamartine. Ce dernier était fasciné par le poète du désert qu’il dépeignait tel « le type de l’Arabe errant, à la fois pasteur, guerrier et poète, qui a écrit le désert tout entier dans ses poésies nationales, épique comme Homère, plaintif comme Job, amoureux comme Théocrite, philosophe comme Salomon ».
Mélange de thèmes
Au fil des pages de ce livre volumineux, le lecteur fait la connaissance de l’enfance d'Antar, du coup de foudre avec Abla et de sa longue conquête avec elle, d’autres exemples d’amours. Antar se marie à Abla, mais ils n’ont pas d’enfants, il trompe sa cousine et celle-ci est ravagée par la jalousie, et l’on assiste à la séparation des amants.
Ainsi, l’on assiste à la traduction en français des plus beaux vers qui relatent la rencontre d'Antar avec Abla et les premiers feux de leur amour, lorsqu’elle était gamine pendant que sa mère lui peignait les cheveux : « J’ai vu une Blanche qui, ses longs cheveux peignant / Disparaissait dans une sombre nuit l’enveloppant / Elle est comme le jour qui se lève / Et ses boucles noires sont la nuit ». Ou plus tard, au cours des années : « Des flèches de ses yeux / Une pucelle belle / A touché mon coeur / De blessures telles / Sont sans remède. (…) Entre ses lèvres / Coule le précieux remède / Aux maux des aimés./ Dieu est Grand/ Comme elle est noble ! »
L’intérêt de ce volume ne réside pas uniquement dans les vers ou dans l’histoire d’amour, mais surtout dans l’hybridité, dans ce mélange de thèmes : « Roman d’aventures ayant recours au merveilleux, roman de chevalerie, roman d’amour, chronique des sociétés tribales disparues, récits de batailles historiques et d’événements politiques ayant eu lieu en Arabie, témoignages sur les moeurs et la spiritualité des civilisations bédouines ».
Les auteurs du livre sont heureusement des spécialistes en la matière, un couple de mariés qui illustre la diversité culturelle, une Française et un Arabe qui, tous les deux écrivent aux premières pages, dans la dédicace du livre : « A notre cher fils Naël, de nos cultures à jamais mélangées ». Isabelle Bernard est professeure de littérature française et francophone à l’Université de Jordanie, et Waël Rabadi est professeur associé à l’Université d’Al-Albayt en Jordanie également et spécialiste d’Albert Camus dans le monde arabe. Tous les deux ont déjà travaillé sur les Milles et Une Nuits.
Les Amours d'Antar et Abla, traduit par Isabelle Bernard et Waël Rabadi, illustrations d’Ilyes Messaoudi, aux éditions Orients, 2019, 502 pages.
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