Pourquoi lancer une nouvelle traduction en arabe du Petit Prince ? Cette oeuvre universelle, écrite par Antoine de Saint-Exupéry en 1943, traduite en 399 langues, est considérée comme le livre le plus traduit dans le monde, après la Bible et le Coran. Selon le site Le Petit Prince collection, 1 525 personnes ou groupes de personnes ont oeuvré au rayonnement du Petit prince à travers le monde, dans les langues les plus diversifiées et les dialectes les plus oubliés.
Le petit prince — Al-Amir Al-Saghir, The Little Prince, O Principino, Il Piccolo Principe — a été traduite dernièrement en Hassayna, dialecte du sud du Maroc, et bien avant en amazigh, en dialectal marocain, tunisien, libanais, palestinien, iraqien, émirati, mauritanien, plus encore, en espéranto et klingon, langages fictifs.
Inclassable, cette oeuvre est à la frontière entre roman pour adultes, à portée philosophique, et conte pour enfants, pareil aux fables et récits d’animaux. Mais dans tous les cas, elle est applaudie par les enfants, adolescents et adultes. Elle a aussi été adaptée en films, en dessins animés, livres sonores, DVD et CD, opéra musical, etc.
En Egypte, l’adaptation au théâtre du Petit Prince en 2016, d’après la traduction du feu poète Fouad Haddad, qui l’a présentée sous une forme de théâtre lyrique, a connu un grand succès. Traduit également en arabe standard moderne une quinzaine de fois dans le monde arabe, le roman a été aussi traduit en dialectal égyptien par Hector Fahmi, en 2017.
L’écrivain Mohamed Salmawy, auteur de nombreux romans, recueils de nouvelles et pièces de théâtre, est un passionné de l’oeuvre. Il a décidé alors de la traduire encore une fois, en arabe standard moderne. C’est comme s’il avait voulu relever le défi de se l’approprier dans sa langue maternelle. Il a souhaité en quelque sorte se mettre dans la peau de Saint-Exupéry et revivre cette écriture, à la fois simple et enrobée d’imagination et de sagesse. Probablement, traduire Le Petit Prince a donc été pareil à l’écoute d’une même pièce de musique (d’un Mozart, d’un Chopin ou d’un Stravinsky), qui à chaque fois répond à une satisfaction émotionnelle. A chaque fois, on est ensorcelé par la réception de la pièce de musique, on se remémore l’expérience vécue et l’on identifie les différentes thématiques.
Les thèmes majeurs de ce récit sont, entre autres, l’amitié, la magie du silence, le fait de retrouver sa propre définition de tout ce qui nous entoure, les dualités visible et invisible, adulte et enfant, voyage et sédentarité, espace et temps, danger et destruction, questions et réponses, bonheur et chagrin.
Wadi Al-Natroune,
l’écriture du Sahara
Mohamed Salmawy a écrit une postface aussi importante que la traduction. Il y révèle une information peu connue des lecteurs du Petit Prince. « L’Egypte a inspiré Saint-Exupéry pour écrire son roman. L’endroit qui a suscité l’imagination de l’écrivain français est la vallée de Wadi Al-Natroune, dans le désert occidental », avance l’écrivain égyptien.
Salmawy rappelle qu’en décembre 1935, Saint-Exupéry était en train de pratiquer son hobby préféré, à savoir le vol aérien. Son ami et lui ont voulu établir un record en volant de Paris à Saigon, afin d’obtenir un prix de 150 000 francs français. Après 19 heures et 44 minutes de vol, l’avion est tombé en plein désert et, par miracle, les deux amis ont échappé à la mort. « Cet accident a eu un grand impact sur Saint-Exupéry qui s’en est largement inspiré dans son roman, précisément dans l’intrigue de la chute de l’avion d’un aviateur dans le désert. Mais aussi et surtout dans la description de l’ambiance vécue en plein désert égyptien. Il a décrit les dunes étendues dans ce désert de l’ouest, la prise de vue du ciel et des astres tels qu’il les a observé, tandis qu’il était couché dans le sable », souligne Salmawy. Il ajoute une autre preuve concernant le personnage du renard : « Saint-Exupéry a écrit une correspondance à l’un de ses proches, après l’accident, dans laquelle il explique qu’il a vu les renards du Sahara qui sont très différents des renards qu’on connaît en France ».
Ensuite, Salmawy essaie, dans cette même postface, de passer en revue les mythes qui ont accompagné Le Petit Prince. Il révèle à quel point la vie réelle d’un écrivain est enchevêtrée avec son oeuvre. Les critiques n’ont de cesse associé les métaphores et images enfouies dans le récit au vécu de l’écrivain. Est-ce que le personnage de l’aviateur est celui de l’auteur lui-même ? Serait-il le produit de la réalité et de la fiction à la fois ? Est-ce que la fleur de laquelle le Petit Prince est tombé amoureux est la femme de l’auteur ? Est-ce que les baobabs qui ravagent le reste des plantes sont le symbole du nazisme qui a ravagé tous les pays avoisinant l’Allemagne ?
Au fil des pages, Salmawy nous fait sentir qu’en dépit de toutes les associations que l’on puisse faire, toutes les interprétations sont possibles. L’atout de cette oeuvre-phénomène est comme le dit bien Mohamed Salmawy : « d’avoir confiance en cet enfant qui nous habite et qui n’est pas contaminé par le mal de la vie ». L’atout de cette oeuvre est de chercher au fond de soi. « On ne voit bien qu’avec le coeur, l’essentiel est invisible pour les yeux », dit Le Petit Prince.
Al-Amir Al-Saghir, traduction de Mohamed Salmawy, aux éditions Al-Karma Books, avec les aquarelles originales qui font partie du texte, 2019.
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