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L’histoire comme on ne l’a jamais lue

Rasha Hanafy, Mardi, 17 septembre 2019

Hawameche Al-Maqrizi (les notes de Maqrizi) est une oeuvre posthume du feu journaliste Salah Eissa qui rassemble des articles sur l’histoire de l’Egypte, publiés dans la presse dans les années 1970. Non sans humour, l’auteur fait en continu des allusions au présent.

L’histoire comme on ne l’a jamais lue

180 récits historiques, d’environ 600 mots cha­cun, tirés de la période des Mamelouks, des Ottomans et du début de l’année 1919, sont ras­semblés dans le dernier livre du feu journaliste égyptien Salah Eissa (1934-2017). Le livre qui s’intitule Hawameche Al-Maqrizi. Hékayat min Misr (les notes de Maqrizi, histoires d’Egypte) est sorti, début 2019, aux éditions Al-Karma.

Il s’agit d’une compilation d’articles déjà publiés dans les années 1970, dans le quotidien égyptien Al-Gomhouriya. A l’époque, le journaliste et intel­lectuel de gauche y rédigeait une chronique régu­lière, Hawameche (littéralement notes de bas de page), qu’il signait sous le pseudonyme de Maqrizi (célèbre historien égyptien, né au Caire en 1364 et mort en 1442. Son oeuvre traite de l’histoire égyp­tienne depuis la conquête arabe jusqu’à la période mamelouke, dont il était un contemporain).

Eissa avait ajouté une vingtaine de pages, en guise d’introduction, où il a expliqué les circons­tances qui lui ont inspiré cette série d’articles, dans les années 1970 : « J’en ai eu l’idée en feuilletant les journaux arabes et égyptiens, notamment les articles traitant de l’histoire. Je me suis dit qu’écrire sur l’his­toire dans la presse exige l’usage d’une langue claire et assez simple, loin du jargon des spécialistes. On doit s’adresser au lecteur ordinaire qui tire essentiellement ses connais­sances de la lecture des jour­naux ». Ainsi, il a décidé de publier ces notes sur l’histoire, entre juin 1972 et mars 1975, donc sous Sadate, durant une période marquée par le pessi­misme de la défaite de 1967.

Ces années étaient aussi marquées par les contraintes de la censure exercée sur la presse et par la détention de plusieurs prisonniers d’opinion, dont Eissa lui-même, à un moment donné. Car les intellectuels de gauche étaient dans le collimateur.

Eissa ajoute dans son introduction : « C’est dans cette ambiance que les (notes) s’adressaient au peuple, avec l’espoir de mener à une prise de conscience. Je voulais communiquer une règle inéluctable : les peuples sont invincibles et impé­rissables ».

Le livre focalise sur des périodes sombres de l’histoire, marquées par la cruauté, l’injustice et la tyrannie. Les Egyptiens y ont fait face avec des astuces originales et imprévisibles.

Les histoires racontées par Eissa sont tirées de documents historiques, de mémoires ou de travaux de recherche. Elles ont été reformulées par l’au­teur, dans un style littéraire accessible à tous. C’est d’ailleurs la raison pour laquelle il ne cite pas ses réfé­rences à la fin de chaque texte, car il veut leur attribuer la forme d’historiettes.

Celles-ci révèlent le déclin des niveaux de vie. La pauvre­té, les maladies et l’ignorance ravageaient les habitants, sous les Mamelouks, les Ottomans et les Britanniques.

Brin d’ironie

Eissa intitule l’un des textes : Ikhss, Da Telea Dimocrati (quelle honte ! c’est un démo­crate), résumant les combats électoraux qui ne visent que la diffamation des concurrents. Il y raconte l’histoire de l’intellectuel, libéral et réformiste Ahmad Lotfi Al-Sayed, candidat des législatives en 1913. Son rival, pendant les élec­tions, l’a taxé de « démocrate », prônant la polyan­drie et l’égalité homme-femme dans l’héritage. Les électeurs (analphabètes dans la grande majo­rité !) ont répété alors : (quelle honte ! il est démo­crate).

Dans un autre article intitulé Al-Iyal Ala Al-Arche (des gamins sur le trône), Eissa affirme que « des gamins » ont gouverné l’Egypte pendant un demi-siècle. Aux temps des Mamelouks, dix-sept enfants ont accédé au trône, dont six avaient moins de dix ans et le reste moins de seize ! Il cite, entre autres, le roi Al-Mozaffar Ahmad qui a pris le pouvoir à l’âge de vingt mois. Il pleurait lors de l’investiture et ne s’arrêtait que lorsque sa nourrice le prenait dans ses bras !

Dans Egga et Bissara (deux plats populaires égyptiens), le journaliste raconte de manière sati­rique comment la bissara (mets à base de fèves et d’oignons) est devenue un moyen pour dénoncer les contraintes des libertés. Et ce, lorsque les sul­tans ont interdit aux cheikhs des mosquées de soulever les problèmes dont souffre le peuple dans leurs prêches. Pour le sermon du vendredi, un homme de religion a expliqué aux fidèles com­ment préparer la bissara à l’égyptienne, en compa­rant le plat à son équivalent libanais.

Salah Eissa s’impose en tant que chroniqueur hors pair. Il remonte dans l’Histoire pour nous rafraîchir la mémoire et encourager les lecteurs à résister par le rire, comme l’ont toujours fait les Egyptiens.

Hawameche Al-Maqrizi. Hekayat min Misr (les notes de Maqrizi, histoires d’Egypte), Editions Al-Karma, 2019. 327 pages.

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