Les Arméniens dispersés aux quatre coins du monde constituent une communauté en exil. Ils ont fui leur pays non seulement à cause du génocide dont le peuple a été victime, mais aussi à cause de la nature de leur terre aride, hostile à l’agriculture. Si les Arméniens n’aiment pas l’agriculture, ils ont acquis la réputation d’être de bons économistes, financiers ou artisans.
L’Arménie a des frontières terrestres avec la Turquie à l’ouest, la Géorgie au nord, l’Azerbaïdjan à l’est et l’Iran au sud. « A chaque période de l’Histoire, les forces rivales s’emparaient de ce territoire et le joignaient à leurs zones d’influence. Cette histoire tumultueuse a poussé les Arméniens à émigrer au fil du temps », écrit Magued Ezzat Israël dans son ouvrage Arman Misr ... Arman Filestine, Baïdanne An Al-Siyassa (les Arméniens d’Egypte et de Palestine au-delà de la politique), affirmant que l’émigration est dès lors devenue un trait caractéristique de l’identité arménienne.
Mais qui sont ces Arméniens ? L’auteur commence par donner quelques précisions sur leur origine historique. « On ne peut parler du peuple arménien qu’à partir du VIIe siècle av. J.-C. A cette époque, la région a été investie par les Indo-européens, qui se sont mêlés à la population du mont Ararat. Le Royaume arménien a connu son apogée sous Tigrane le Grand. Les guerres contre les Byzantins l’ont affaibli jusqu’à sa chute en l’an 1045 ap. J.-C. », indique-t-il. Bien que considérée comme le berceau des civilisations indo-européennes, l’Arménie n’a pas d’histoire documentée semblable aux anciens pays tels l’Egypte et la Chine, parce qu’elle n’a pas eu d’alphabet propre jusqu’au Ve siècle ap. J.-C. Celui-ci a été créé pour traduire la Bible, lue jusque-là en syriaque et en grec.
Il est assez paradoxal que l’auteur ait voulu tracer un itinéraire non politique de la communauté arménienne en Egypte, alors qu’ils y ont tenu des rôles politiques de premier plan. En effet, les Arméniens ont commencé à s’installer en Egypte dès l’époque pharaonique, selon le livre. Mais leur immigration a connu une apogée après la conquête islamique, en particulier à l’époque des Fatimides. Sous ces derniers, ils ont bénéficié d’une liberté totale— culturelle, religieuse et économique. Les califes fatimides nommaient des Arméniens à des postes-clés au sein de leurs gouvernements consécutifs. Les exemples mentionnés dans le livre sont d’ailleurs nombreux: « Le commandant militaire Ibn Yéhia l’Arménien, qui a joué un rôle non négligeable dans la lutte contre les forces byzantines. Et l’architecte Fustat Ferham, l’un des bâtisseurs de la cité du Caire, et d’autres ».
La confiance accordée par les califes fatimides aux ministres arméniens est allée grandissante au fur et à mesure de leur règne, à tel point que l’époque fatimide a aussi été nommée « l’époque arménienne ». A un moment donné, la majorité des ministres étaient d’origine arménienne, c’étaient les véritables gouverneurs du pays. « A leur tête se trouvait Ferham Bahlafuni ou le prince Berham l’Arménien, qui exerçait un pouvoir sans limites et a été nommé la couronne du pays », écrit l’auteur.
La fin du règne des Fatimides, causée par les Ayyoubides, a aussi marqué la fin de la prospérité arménienne en Egypte à cause de l’hostilité traditionnelle entre Kurdes et Arméniens. Nombreux ont été les Arméniens qui ont quitté l’Egypte à destination de Jérusalem en l’an 1172 ap. J.-C.
Accès à de nombreux domaines
L’arrivée de Mohamad Ali à la tête du pouvoir en Egypte, en 1805, a marqué un nouvel essor pour la communauté arménienne. La révolution économique et administrative entreprise par le wali d’Egypte a poussé celui-ci à avoir recours à leur expertise, notamment en ce qui concerne les règlements administratifs, économiques et financiers à l’occidentale. Mohamad Ali voulait moderniser le pays et a profité de leur savoir-faire. C’est ainsi que les Arméniens ont eu accès à un grand nombre de domaines. Ils ont notamment développé l’imprimerie et traduit des livres vers l’arabe à partir de plusieurs langues étrangères. Leurs compétences professionnelles ont poussé Mohamad Ali à leur accorder de plus en plus de prérogatives politiques. « Le poste de premier ministre a été occupé à plusieurs reprises par Nubar Nubarian pacha. Sous sa direction, l’Egypte a réalisé d’énormes accomplissements, à l’intérieur comme à l’extérieur », souligne l’auteur, qui semble avoir plongé dans l’histoire arménienne au point d’en faire partie.
Etant l’un des premiers pays à avoir adopté le christianisme en l’an 301, la Palestine, et plus particulièrement Jérusalem, occupe une place privilégiée dans l’histoire de l’émigration arménienne. Celle-ci a d’ailleurs commencé avec le début de l’ère chrétienne. La ville sainte abritait même la plus ancienne communauté arménienne en exil. Les membres de celle-ci sont arrivés avec les légions romaines, en tant que simples soldats et administrateurs, et ont fini par y rester. « Les prêtres arméniens étaient parmi les premiers à édifier plus de 70 couvents dans le désert palestinien et au sein de Jérusalem, entre les IVe et VIIIe siècles », précise le livre. Contrairement au rôle politique joué par des Arméniens en Egypte aux différentes époques, les Arméniens de Palestine se sont contentés d’activités religieuses et artisanales. C’est grâce à la communauté arménienne qu’a été introduite l’industrie textile durant la Première Guerre mondiale (1914-1918). « C’est à travers l’association de la Croix-Rouge américaine que les Arméniens ont pu introduire un métier à tisser. Ils étaient arrivés dans la Ville Sainte, fuyant le génocide commis par les Turcs ».
Après le textile, c’était au tour de la céramique, durant le premier quart du XXe siècle. L’Arménien Daoud Ohanissian a pu entraîner les habitants de la Ville Sainte à se lancer dans cette activité. L’auteur Magued Ezzat Israël termine son livre en soulignant quelques traits caractéristiques de la communauté arménienne, en Egypte comme en Palestine : « C’est une communauté qui parvient à faire ses preuves et à s’imposer si les circonstances politiques le permettent ». Ils sont aussi réputés pour s’organiser de manière à préserver leur langue et leur culture.
Arman Misr ... Arman Filestine, Baïdanne An Al-Siyassa (les Arméniens d’Egypte et de Palestine, au-delà de la politique), de Magued Ezzat Israël, éditions Al-Arabi, 2017.
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