A l’heure où la nouvelle littéraire a le vent en poupe, le dernier recueil de nouvelles signé Ahmad Al-Khamissi se pose comme un modèle du genre. Il peut être considéré comme une référence en la matière, rappelant les caractéristiques classiques de la nouvelle et la spécificité de l’auteur septuagénaire.
Ce dernier reprend souvent, dans cet ouvrage, le thème de la vieillesse. Et ce, malgré la variété des thèmes abordés dans les 18 nouvelles du recueil. La vieillesse revient inlassablement, sans lamentation aucune. Bien au contraire, le vieillissement est vécu pleinement, positivement, rythmé par des idées philosophiques sur l’âge, le temps et les souvenirs. Au fil des pages, on est même enchanté par l’optimisme qui enveloppe les menus détails.
L’écriture poétique est également omniprésente dans les différentes nouvelles. Une écriture variant entre poésie et prose, où l’on est à chaque fois touché par le pouvoir des mots et leurs significations. Le titre même du recueil illustre l’optimisme et le goût pour la poésie : Les Roses de la neige.
Le personnage principal de la nouvelle éponyme explique bien le titre, ce sont les « fleurs qui poussent sous le froid et s’épanouissent en dépit de la neige ». Dans cette nouvelle qui se situe dans les années 1960, lorsque l’écrivain effectuait ses études en ex-Union soviétique, on passe en revue le sentiment de dépaysement que vit un groupe d’amis cosmopolites. On les entend répéter: « L’étoile magique du bonheur se lèvera de nouveau ».
Leur professeur essaye de briser les barrières du racisme ou celles de la nostalgie qui s’empare de ses étudiants, en leur disant: « Pouchkine avait raison, il existe une étoile suspendue quelque part dans le ciel, une étoile qui brille pour chacun, lui permettant de se débarrasser de la brume ».
Jeux de grand-père
Outre cet espoir bon enfant, tout le recueil repose sur la technique du paradoxe. Dans la nouvelle Petite Joie, on a affaire à l’idée de l’avancement dans l’âge. Un grand-père joue à cache-cache avec son petit-fils. C’est la joie partagée. Puis le grand-père décide de passer à un autre jeu, qui consiste à vendre les journaux anciens à un vendeur ambulant de vide-grenier. Il négocie le prix d’abord, pour ensuite tout céder gratuitement. Cependant, le petit accompagnateur du vendeur gâche le jeu en lui révélant : cet acte de générosité n’est pas du tout nouveau, à chaque fois, ce sont les mêmes négociations, puis arrive toujours enfin le même don gratuit.
Les jeux du grand-père ne finissent pas. Il se prête à un exercice rigolo de mémoire, feignant souvent l’oubli. Puis la partie de cache-cache est de nouveau reprise.
Dans d’autres nouvelles, lorsqu’il n’est pas question de l’avancement dans l’âge, l’auteur évoque la sagesse acquise au fil des ans. Par expérience, on regarde le monde extérieur avec un petit sourire sur les lèvres. C’est le cas de la première nouvelle du recueil Une Petite Erreur, où on suit avec beaucoup d’humour l’histoire d’un grand écrivain qui, dans une interview avant de mourir, cite le nom d’un des meilleurs écrivains de sa génération. Or, il se trompe et donne le nom d’un inconnu, le plaçant ainsi sous les feux des projecteurs.
Par hypocrisie, personne dans les milieux intellectuels n’ose le contredire ni avouer qu’il n’avait jamais lu ce dernier, alors qu’il n’a jamais existé vraiment.
Ahmad Al-Khamissi, en bon connaisseur du champ intellectuel, fait une critique très subtile des cercles de la culture. Il réussit à pousser le rire à l’extrême, en décrivant comment cet écrivain inconnu, choisi par erreur, finira par recevoir un prix de l’Etat. L’écrivain transporte le lecteur dans un monde imaginaire, humoristique presque fantastique, mais en terminant le recueil, on comprend bien que la réalité est encore plus absurde. On ne cesse de s’identifier au monde décrit par l’écrivain l
* Ward Al-Galid (les roses de la neige) par Ahmad Al-Khamissi, édition Magaz, 2018.
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