Sad-Chyne sont les initiales du désert oriental en arabe (Sahara charqiya). Ce sont aussi les initiales d’une identité créée par le colonel libyen Muammar Kadhafi, afin de distinguer les Egyptiens des oasis et des villes situés dans le désert occidental pour l’Egypte, ou le désert oriental pour la Libye.
Il s’agit d’une identité offerte notamment aux Egyptiens de la tribu Al-Rimah, originaire du gouvernorat de Fayoum, à 130 kilomètres au sud-ouest du Caire. Dans les années 1970, Muammar Kadhafi cherchait un moyen de s’implanter en Egypte et a eu l’idée d’inventer l’identité « Sad-Chyne » pour désigner les habitants du désert, plus particulièrement autour du Fayoum, Béni-Soueif et Minya. La raison derrière cette idée était la tension qui régnait entre les présidents Sadate et Kadhafi, laquelle a abouti à la guerre de quatre jours, en juillet 1977 (des accrochages limités à la frontière des deux pays). « Pour le colonel, ces Egyptiens bédouins étaient considérés comme des Libyens vivant en Egypte. Kadhafi a tenté d’attirer les jeunes pour s’installer en Libye en leur ouvrant les frontières, légalisant leur statut juridique et les annexant à l’armée libyenne, notamment les forces de garde et de commandos. Un bon nombre d’entre eux appartenait à la ville de Sabha, dans le sud du pays, et sont devenus le noyau dur de cette nouvelle identité. Il cherchait à obtenir le soutien des tribus bédouines, dans son combat contre Sadate », explique le romancier et écrivain égyptien Hamdi Abou-Jolayel, lui-même un « Sad-Chyne », né en 1968 dans un village du Fayoum et parti à Sabha dans les années 1990 pour mieux gagner sa vie. Et ce, après avoir travaillé en tant qu’ouvrier du bâtiment dans les années 1980.
« Les bédouins du nord de la Haute-Egypte ont émigré en groupes vers la Libye dans les années 1970. Car là-bas, l’économie était assez puissante à cause des revenus pétroliers. Ils ont cherché à faire fortune rapidement à la Jamahiriya. Ils se sont installés alors en Libye, et certains l’ont considérée comme une étape avant de traverser la mer et de se diriger clandestinement vers l’Italie », ajoute-t-il. Après la chute du colonel Kadhafi, l’identité « sad-chyne » fut annulée.
C’est à propos de ces gens, leurs us et coutumes bédouines, qu’Abou-Jolayel a rédigé son dernier roman, Qiyam Wa Inhiyar Al-Sad-Chyne (instauration et effondrement de la sad-chyne, éditions Merit).
L’ironie pour convaincre
En lisant ce roman, on a l’impression que le narrateur nous parle en face-à-face, en dialecte bédouin. Hamdi Abou-Jolayel a mis 10 ans pour écrire cette oeuvre. Il avait l’idée et avait récolté les informations nécessaires, mais il a mis du temps à la recherche du ton qu’il devait attribuer au narrateur. « Le sens et l’effet des mots résident dans le timbre de la voix. C’est le ton qui transforme de simples mots en un roman. J’ai voulu que le lecteur sente que le romancier parle et non pas qu’il écrit », affirme Abou-Jolayel, dont le projet romanesque vise à faire revivre la fiction qui se veut purement égyptienne et non arabe. C’est-à-dire le roman qui se sert du langage parlé et des divers dialectes égyptiens.
Abou-Jolayel a également opté pour l’ironie dans son roman. Car selon lui, « l’écriture, en général, doit être amusante. L’ironie permet de voir la chose et son contraire. C’est le style le plus convenable pour exprimer l’être humain ». Ainsi, Abou-Jolayel a réussi à présenter les tentatives de plusieurs jeunes gens qui ont eu recours à la migration pour réaliser leurs rêves.
Mohy, le héros du roman, un bédouin de Fayoum, a passé plusieurs années en Libye, avant de se rendre en Italie, s’installer à Milan et devenir un trafiquant de drogues. L’auteur insère plusieurs détails, assez pénibles, concernant la fuite continue et la migration clandestine, ainsi que la vie douloureuse en Italie. « Quand j’étais à Sabha, j’ai vu les Africains atterrir dans cette ville pour aller ensuite en Italie. L’expérience de l’Italie dans le roman est celle d’un de mes cousins. J’ai opté pour l’amalgame entre la langue soutenue de la narration et le dialecte bédouin, afin de mieux exprimer la réalité vécue par ces gens », indique Abou-Jolayel, qui a reçu le prix de la créativité arabe en 2000 et le prix littéraire Naguib Mahfouz en 2008.
Cette combinaison linguistique a réussi à refléter de manière très sincère et réaliste la vie du désert, notamment celle de Mohy, que ce soit au Fayoum, en Libye ou en Italie.
Qiyam Wa Inhiyar Al-Sad-Chyne est un voyage amusant dans la tête d’un bédouin égyptien. C’est aussi un voyage difficile et excitant à travers les pays, pour réaliser un rêve jamais atteint par le héros .
* Qiyam Wa Inhiyar Al-Sad-Chyne, ou instauration et effondrement de la Sad-Chyne, édition Merit.
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