« C’est ma première visite en Egypte, et j’en suis très heureux. Je ne suis pas venu les mains vides, mais avec une part de l’Afrique qui donne sur la Méditerranée et que je représente dans mon dernier roman, sorti récemment, La Belle de Casa. Je me suis intéressé au monde des bas-fonds du Maroc, où les voyous, les trafiquants, les prostituées et les commissaires de police corrompus dominent. J’y parle du patriarcat, de la migration, de l’impérialisme et de la misère sociale », affirme à l’Hebdo le romancier In Koli Jean Bofane, écrivain kino-congolais vivant en Belgique, considéré comme l’un des auteurs phare de la littérature africaine moderne. Il était invité en Egypte pour assister aux rencontres Ecrire la Méditerranée, tenues le mois dernier entre Alexandrie et Le Caire.
In Koli Jean Bofane, dont le prénom signifie dans la langue congolaise « la blessure fraîche qu’on ne peut pas toucher », est né le 24 octobre 1954 en République démocratique du Congo. Il arrive pour la première fois en Belgique en 1960, pendant les troubles de l’indépendance. Ensuite, après des allers-retours entre le Congo et l’Europe, et quelques études en publicité et en communication, il retourne à son pays natal en 1983. Il travaille dans la publicité en fondant sa propre compagnie, Factuel-Média. Puis, en 1991, après la mise en place du processus démocratique par le maréchal Mobutu, il crée sa propre maison d’édition, Publications de l’Exocet. Mais la répression dans le milieu de la presse et de l’édition complique les choses pour Bofane.
Il quitte définitivement son pays en 1993 pour la Belgique. Une fois arrivé, il se lance dans la littérature en publiant chez des maisons d’édition de renommée, comme Gallimard et Actes Sud. Dans ses écritures, Bofane est connu pour l’amalgame de l’imagination inventive et l’engagement sociopolitique. « A chaque fois que je me mets à écrire, je me bats contre l’injustice, la corruption, contre toutes les dictatures dans le monde en général et en Afrique en particulier, et contre tout ce qui cause la misère humaine n’importe où. Parce que c’est l’humanité qui nous unit. En fait, je tire avec mon qalam », assure Bofane, qui espère changer le monde en écrivant.
Prédire l’avenir
En exil, l’écrivain congolais ne perd pas de temps. En 1996, Bofane publie, aux éditions Gallimard Jeunesse, Pourquoi le lion n’est plus le roi des animaux, un conte pour enfant sur la dictature dans son pays. Un livre qui annonce la fin du régime de Mobutu juste un mois avant l’arrivée de Laurent-Désiré Kabila. Bofane obtient le Prix de la critique de la Communauté française de Belgique et le livre est publié dans de nombreux pays. « Les écrivains analysent plus que les journalistes et les chercheurs. Ils écrivent sur l’âme des gens et expriment ce qui se passe sur terre. Ils ne sont pas à la lune. C’est pourquoi ils connaissent les conséquences des injustices. Et c’est pourquoi toutes les dictatures les craignent », indique Bofane. Un second ouvrage est publié en 2000, intitulé Bibi et les canards et parle de migration. Le premier roman, intitulé Mathématiques congolaises, est paru aux éditions Actes Sud en 2008. Il lui a valu le prix littéraire de la Société Civile des Auteurs Multimédia (SCAM) en 2009, ainsi que le Grand prix littéraire d’Afrique noire la même année. Le Grand prix du roman métis 2014 et le Prix des cinq continents de la Francophonie lui ont été remis pour le deuxième roman intitulé Congo Inc., le testament de Bismarck, paru chez Actes Sud.
Ces deux ouvrages consistent en des satires politiques grinçantes qui pointent du doigt, à travers des constructions allégoriques, la responsabilité de l’Occident dans les souffrances infinies de l’Afrique, mais aussi celle des Africains. Bofane, dans son troisième roman, La Belle de Casa, qui se déroule au Maroc, s’attaque à la misère sociale et à la corruption. Elles sont présentées à travers le parcours du Sahara et la quête identitaire de la jeune fille Ichrak, qu’on retrouve un matin assassinée en pleine rue.
« Les écrivains n’ont que la littérature pour combattre les injustices. Ils souffrent, comme les gens, mais ils ne tombent pas », assure Bofane. Et de préciser : « Ils ne perdent pas, parce qu’ils sont dans les camps des gens intelligents ».
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