Esmat a trouvé le thème d’Al-Wassaya (éditions Kotob Khan) au printemps 2015 et a publié son ouvrage en janvier 2018. Il lui a valu d’être nominé pour le Prix international de la fiction arabe, parmi cinq autres romanciers. Le lauréat de ce prix sera annoncé en avril 2019. « C’était une vieille histoire qui trottait dans ma tête, mais que je n’ai pas pu mettre sur papier comme je la visualisais dans mon imagination. J’ai essayé en 2002, mais le résultat n’a pas été satisfaisant », explique Adel Esmat. Et d’ajouter: « Je ne voulais pas simplement raconter l’histoire d’une famille, mais rendre tangibles les sentiments de chacun de ses membres, les rapprocher de la vie et retracer les facteurs cachés qui ont conduit à la fermeture de l’ancienne demeure familiale, à la perte des terres agricoles et à la dispersion des enfants et des petits-enfants à travers le monde ».
Né dans le Delta en 1959, Adel Esmat n’a pas voulu juste écrire un roman qui aborde la vie d’une famille à la campagne égyptienne. Il s’agit, en effet, plutôt de l’histoire de l’Egypte depuis les années 1920, en passant par la Révolution de Juillet 1952, la défaite de juin 1967, la victoire d’Octobre 1973, les répercussions de l’ouverture économique sous Sadate, et ce, jusqu’à arriver en 2008.
En quelque trois cents pages, le grand-père, cheikh Abdel-Rahman Sélim, raconte son histoire à son petit-fils. Il relate comment il a pu récupérer les terres agricoles que son père avait confiées à des étrangers dans les années 1920. Il énumère à son petit-fils les moments de prospérité qu’a connus la famille, puis la perte de ses terres et la dispersion de ses enfants à travers le monde.
L’histoire du pays
Le roman se compose de dix chapitres, dont chacun constitue un « commandement ». Citons à titre d’exemple: Attention: ne tue pas ton frère; La fortune est comme un animal que tu dois guider; Les tristesses sont les poisons du coeur; Supporte bien la douleur ; La plus grande vertu est l’abandon. Dans chaque chapitre, le grand-père présente son idée en général, puis explique ce qu’il y a derrière. Ensuite, il dévoile une partie de l’histoire de la maison des Sélim, qui vient appuyer ses commandements.
Adel Esmat, qui a fait des études de philosophie à la faculté des lettres de l’Université de Aïn-Chams, excelle dans la description de la vie rurale. « Je me suis intéressé à montrer certains phénomènes sociaux que l’on ne retrouve pas dans les livres d’histoire, comme les vêtements de la population rurale, l’introduction de la radio dans une province, puis celle des cassettes et celle des pulvérisateurs agricoles. L’effet de toutes ces nouveautés et de la facilité du transport entre les villages et les villes m’a beaucoup attiré », déclare Esmat, qui a reçu plusieurs prix littéraires, comme celui de l’Encouragement de l’Etat en 2011 et le prix Naguib Mahfouz, remis par l’Université américaine du Caire en 2016 pour son roman Hékayat Youssef Tadros (les histoires de Youssef Tadros, traduit vers l’anglais).
Dans Al-Wassaya, la description des endroits et des personnages ne lasse jamais le lecteur. Celui-ci a l’impression de sentir l’air frais et l’odeur de ces endroits, de ces terres. Exactement comme chez Naguib Mahfouz, quand celui-ci décrit les ruelles égyptiennes. A travers l’histoire d’une famille, l’auteur raconte celle d’un pays, passant en revue tous ses changements contemporains. Le grand-père est présenté comme le sauveur de la famille, un homme fort et sans pitié. Il a commis une erreur fatale en distribuant la terre à ses fils. Chacun a pris sa parcelle et l’a vendue pour mener une nouvelle vie à l’autre bout du monde. C’est à cause de son caractère autoritaire que les membres de la famille ont été séparés, et que chacun est parti de son côté.
Les Commandements est une saga impressionnante. Le roman offre un tableau précis des transformations sociales de l’Egypte, montrant comment le paysan a abandonné sa terre et s’est mis à cultiver la luzerne à la place du coton .
Al-Wassaya (les commandements), Al-Kotob Khan, Editions 2018.
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