Un livre accueillant. Dès le titre même, Courrier de nuit, le dernier roman de Hoda Barakat qui vient de sortir pendant le Salon international du livre du Caire, nous invite à explorer des correspondances signées par l’écrivaine elle-même. Ce sont des lettres plus ou moins fictives, et l’idée des lettres, en général, ouvre toujours l’appétit du lecteur à découvrir l’univers intime d’un écrivain, ici en l’occurrence celui de la Libanaise Hoda Barakat.
Dès la première page, la première ligne, on entre dans l’intimité de tout un chacun. « Ma chère, puisque c’est comme cela que commencent les lettres. De toute ma vie, je n’ai jamais écrit une seule lettre. Il y a une lettre imaginaire que j’ai longtemps tournée dans ma tête et que je n’ai jamais écrite », écrit l’amant à son ex-partenaire. N’exprime-t-il pas ainsi le souci de tout lecteur à mettre un jour, noir sur blanc, ses moments les plus douloureux, ses souvenirs jamais révélés. N’est-ce pas cela le rêve de tous ?
Dans la première partie, qui constitue la majorité du roman et qui s’intitule « Derrière la fenêtre », on a affaire à différents types d’expéditeurs qui partagent tous la même condition d’expatriés, d’exilés, de solitaires, et qui tentent de retrouver la mémoire de leur pays d’origine. Ils cherchent en vain des points de rattache avec le passé.
Un réfugié, macho, écrit à la femme étrangère, dont il est éperdument amoureux. Tout ce qu’il exprime dans sa lettre crie la passion, et cependant, au fur et à mesure qu’on la lit, on se demande s’il l’a un jour aimée. Il dit dans une longue lettre où il ne cache pas les menus détails de leur relation: « Qu’est-ce que j’ai à faire avec cette femme ? Mon désir lui donne une force que je ne peux supporter ».
Il décrit ensuite comment elle se comporte avec lui telle une mère tolérante et passionnée. En dépit de tout cela, il souligne qu’il est au courant de ses rapports avec d’autres femmes. En lisant sa lettre, adressée à « sa chère », on comprend que ce n’est pas une lettre explicative qui cherche obstinément à retrouver son destinataire, mais au contraire, il s’agit d’un prétexte, d’un moment de face-à-face avec soi-même, pour confesser, pour écrire un monologue intérieur et toucher, peut-être, aux raisons profondes des personnages tordus. De la voix de cet homme aux abois, l’auteure passe à la lettre d’une ancienne amante qui attend, dans une chambre d’hôtel, l’arrivée d’un amant de très longue date, tout en ayant un pressentiment de désespoir, car cette lettre, il ne la lira jamais.
Lettres non envoyées
Ces lettres ne sont jamais envoyées à leurs destinataires, mais à chaque fois, elles sont laissées quelque part dans une chambre d’hôtel, dans un siège d’aéroport, etc. Quant à l’écriture des lettres, elle semble être un passe-temps décisif, une voie salutaire pour dire son dernier mot au moment propice.
C’est comme si ces pe rsonnages étaient arrivés au bord d’une pente, un tournant dans leur trajet de vie, et expriment le besoin de s’attacher à un frère, une mère, un père ou une amante. Pourtant, ils savent que durant ces moments d’aveu, lorsqu’ils se mettent à nu devant leurs destinataires, les atrocités qu’ils relatent ne peuvent jamais être postées. On passe à la lettre d’une femme qui s’adresse à son frère emprisonné. C’est une prostituée dont la mère a ruiné non seulement sa vie, mais surtout celle de son enfant. Elle n’a pas tué sa mère de ses propres mains, ni sa patronne, mais les a laissé mourir sous ses yeux. Elle se pose la question, sans vouloir se disculper: est-ce que le tueur est nécessairement celui qui tue exprès? Ou bien est-ce celui qui laisse mourir l’autre sans lui jeter une bouée de sauvetage ?
Quant au tortionnaire, cet enfant prodigue rejeté par le père violent et la mère opprimée, on reconnaît sa voix lorsqu’il s’adresse à sa « chère maman », en cherchant à échapper à la police. Sa voix est semblable à de nombreuses victimes de la société qui, à force de s’être adaptées à la souffrance, deviennent elles-mêmes des oppresseurs.
Dans ce roman, on reconnaît la maladie, on respecte le diagnostic, on partage l’intimité de ces victimes condamnées à devenir des bourreaux, ou du moins des marginalisés, des exclus.
L’écrivaine réussit à tailler des portraits véridiques, à décrire des sociétés nourries par la violence et le dogmatisme. Mais elle le fait sans jamais porter de jugement de valeur. Hoda Barakat souligne la non-communication humaine au moment où tout le monde est connecté l
Barid Al-Leil de Hoda Barakat, édition Al-Adab, Beyrouth et Courrier de nuit (traduction de l’arabe), Actes Sud,
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