Joshua Stacher, de Kent State University, essaye à travers un travail de terrain qui a duré dix ans de faire une comparaison entre l’Egypte et la Syrie sous la dictature. Stacher effectue d’un autre côté un travail de réflexion plus théorique basé sur la sociologie politique de Max Weber. Ce dernier affirmait que l’Etat détenait le monopole de la violence légitime. Mais pour donner de la crédibilité à ce monopole, l’Etat a besoin d’un peu de démocratie à travers une application juste et non clientéliste des lois et de la Constitution. En prenant les deux exemples de l’Egypte et la Syrie, Stacher tente de comparer deux visions de la « réalpolitique » qui ont eu leurs limites.
Stacher compare deux pays qui ont opté à un moment de leur histoire pour l’Union politique durant les années 1960. Ensemble, ils sont entrés en guerre contre Israël. Et depuis les années 1970, sous Sadate ou Assad, les deux pays ont choisi des destins politiques différents, bien que leurs régimes respectifs avaient le même but, à savoir : garder le pouvoir. Joshua Stacher explique comment la nature centralisée du pouvoir a aidé Sadate dans son bras de fer avec l’ancienne garde de Nasser, et a favorisé le « one man show » qui a permis, en fin de compte, à Moubarak de rester plus de trente ans au pouvoir. La carte jouée par le régime de Moubarak était programmée depuis Sadate. Celui-ci a réduit les pouvoirs des ministères et des institutions par rapport à la présidence. Cette dernière était prédestinée à rester au sommet de la pyramide du pouvoir en Egypte. Le Parti National Démocrate (PND), malgré les efforts de modernisation, ne constituait qu’une coquille vide. Car les hommes politiques étaient considérés comme des individus qui font carrière dans la politique, plus que des politiciens, élus ou choisis pour représenter le peuple. Ainsi, Amr Moussa fut écarté du ministère des Affaires étrangères du jour au lendemain, au début des années 2000, juste pour ne pas faire de l’ombre au président de la République. A ce même moment, la décentralisation du pouvoir en Syrie a permis, par exemple, au ministre des Affaires étrangères, Farouk Al-Chareh ou au vice-président Abdel-Halim Khaddam, de s’opposer par un vote, au sein du parti, à leur président comme cela était le cas pour la résolution 1483 des Nations-Unies en 2003 concernant les troupes américaines en Iraq, sans que cela ne crée des tentions et ne provoque leur départ.
Deux choix différents
Cet exemple donné par Stacher explique comment les choix faits par les deux régimes au début des années 1970 ont marqué leurs destins. Sadate a opté pour « l’Egypte d’abord ». En développant l’identité nationale égyptienne, Sadate faisait face au dernier souffle des orientations panarabes au sein de l’administration égyptienne. Aidé par une structure politique centralisée et pyramidale, il a gagné de la crédibilité après la performance courageuse de son armée lors de la guerre du 6 Octobre. Il a été motivé par les perspectives d’un élan économique émanant d’une ouverture vers l’économie de marché et vers les Etats-Unis. Sadate a donc sacrifié le panarabisme de l’Egypte sur l’autel du traité de paix avec Israël. En Syrie c’est l’opposé qui s’est produit. Hafez Al-Assad lui n’avait ni le luxe, ni le choix de sacrifier le panarabisme, car c’est sur celui-ci que son régime était fondé. Le panarabisme constituait le fond de l’identité nationale syrienne. Il justifiait l’existence du parti au pouvoir. Le Baas est un parti qui permettait aux différentes factions et aux membres des communautés syriennes de s’intégrer dans un système politique sur des bases autres que confessionnelles. Ainsi, la Syrie étaitdécentralisée et oligarque, tandis que l’Egypte de Sadate et de Moubarak était centralisée et pyramidale. Cela a accentué les pouvoirs autocratiques des personnes situées à la tête de l’Etat. Dans Adaptable autocrates, Stacher compare les expériences politiques des deux partis au pouvoir en Egypte et en Syrie. Il relate les détails des guerres fratricides au sein du PND entre l’ancienne garde de Moubarak et la nouvelle garde de son fils Gamal. A titre d’exemple, il explique comment Kamal Al-Chazli, ancien ministre des Affaires parlementaires et pilier du régime depuis Sadate, a participé à la décrédibilisation de Hossam Badrawi, chef de la commission de la santé au sein du comité des politiques du PND, en le laissant au Parlement face aux caméras de la télévision défendant la privatisation des hôpitaux et du système de santé. Cet exemple montre les limites de la nature pyramidale du régime égyptien, contrairement au modèle syrien du parti Baas, qui représentait à une époque un lien identitaire regroupant les différentes communautés de la mosaïque confessionnelle syrienne. Le PND égyptien, lui, regroupait des individus en quête de carrière politique et de succès ou d’individus apolitiques ou technocrates afin de préparer une douce transition, sans jamais faire le poids face à la présidence de la République. Et d’un autre côté, cette histoire explique les limites d’un Parlement « majoritaire » à 90 pour cent, sous une dictature, mais qui laisse involontairement le jugement final sur ces performances au peuple, qui exerce la démocratie, sous la répression, à travers les médias.
Adaptable autocrats (autocrates adaptables) de Joshua Stacher, AUCPress
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