Il n’est pas question, dans le livre de Loula Lahham, de la ville pharaonique d’Akhmim, de ce lieu phare de l’industrie du textile. Mais plutôt, comme l’indique bien le titre,
Hakawy Fatayat wa Sayedat Akhmim (les contes des filles et des femmes d’Akhmim), des contes des jeunes filles et femmes d’Akhmim, de l’art des femmes de la Haute-Egypte aujourd’hui. Ces jeunes filles et femmes citoyennes de la cité antique ont réussi, par seuls le fil et l’aiguille, à créer des tableaux riches et inventifs.
Reliées à l’association de la Haute-Egypte, ONG répertoriée sur la liste du ministère de la Solidarité sociale, ces femmes-artisanes ont su développer leur art au-delà de toutes les contraintes. Une exposition est d’ailleurs organisée à partir du 29 novembre au siège de l’association au Caire (voir sous-encadré).
Au fil des pages, Loula Lahham, admiratrice de l’art d’Akhmim, rend hommage à ces filles-artistes. Comme si, en soulignant les qualités et la beauté de cet art qu’on pourrait qualifier de « naïf », elle invoquait en quelque sorte la déesse locale, mère d’Horus l’enfant ou Aprit-Isis, qui y était adorée à l’époque gréco-romaine, lorsque la cité portait le nom de Panopolis. Dans la préface signée par l’éminent artiste Mohamad Abla, on lit : « Je ressens une joie très particulière quant à ce livre, parce qu’il met l’accent sur l’histoire de cette créativité et répond à de nombreuses questions sur les femmes-artistes d’Akhmim : Comment créent-elles ? Quelle est leur source d’inspiration ? Et comment abordent-elles dans leur tableau, leur art, leur vie, leurs relations avec le paysage et avec leurs maîtres ? ».
Les objectifs de ce livre sont évidents. Il s’agit, tout d’abord et incontestablement, de documenter l’art des filles et des femmes d’Akhmim, de peur qu’il ne tombe dans l’oubli ou que, faute de moyens, ne soit plus pratiqué. Mais en présentant cette riche documentation, l’auteure donne l’impression d’écrire également une partie de son autobiographie, de révéler une partie chère d’elle-même. C’est ainsi qu’elle revient, dans l’introduction de son livre intitulé Les Mémoires du premier jour, sur sa première rencontre avec la cité historique d’Akhmim, en 1975. Lors d’une excursion scolaire à Louqsor, le bus s’était arrêté à Akhmim, les élèves avaient déambulé dans les ruelles délabrées et rencontré les enfants de la campagne, qui les attendaient impatiemment.
Loula Lahham a gardé le souvenir de cette première visite, de la joie, des amitiés réelles qui dépassent les entraves des classes sociales et des cultures. Après sa licence de lettres, elle choisit de travailler avec les filles d’Akhmim à travers l’administration de l’Association de la Haute-Egypte pour l’éducation et le développement, ce qui l’a liée à l’endroit pour de nombreuses années.
Art ou artisanat ?
Le deuxième objectif du livre est de présenter, à travers des photographies et des tableaux, l’oeuvre des filles et femmes d’Akhmim comme relevant de l’art avec un grand A. Ce grand débat, jamais conclu, de savoir s’il faut considérer le travail manuel comme de l’art ou de l’artisanat, Loula Lahham le tranche avec beaucoup de foi dans la particularité de la créativité des filles d’Akhmim, et plus particulièrement de la production du centre de service collectif, unité de l’Association de la Haute-Egypte. Elle voit dans les paysages, les personnages, les oiseaux, les animaux et les scènes de la vie quotidienne représentées sur les toiles par la seule aiguille une oeuvre authentique, chaque artiste possédant un style qui lui est propre. « Les motifs de chaque toile se caractérisent par l’expression libre de chaque artiste », avance Loula Lahham. Et d’ajouter : « Je ne pense pas qu’il s’agisse d’artisanat, puisqu’il n’est pas question de modèles qui se répètent. Chaque tableau a son authenticité, chaque tableau est unique dans son genre ».
Un troisième objectif, non moins pertinent, est celui de mettre le point sur la créativité de la femme égyptienne, notamment dans le milieu rural. A la différence du travail des ONG qui misent sur le développement et l’éducation des femmes dans les milieux démunis, il est question ici d’un travail manuel de filles illettrées qui s’est développé pour être présent dans les expositions de par le monde, soit un travail qui s’attache facilement à l’adjectif artistique.
Pour révéler ce troisième aspect, Loula Lahham creuse dans les origines de cette production artistique et insère des fragments de témoignages sincères et touchants tout le long du livre, par la bouche des femmes fondatrices du projet ou par celle des filles et femmes-artistes d’Akhmim. On peut ainsi lire des témoignages des fondatrices qui étaient convoquées par l’Association dans les années 1960 pour enseigner aux jeunes filles. Ce sont les membres d’un groupe de femmes dédiées à propager les valeurs de la paix et de la tolérance, et à améliorer les conditions de vie de la femme dans les pays pauvres. Mais aussi des témoignages de femmes-artistes qui évoquent la difficulté de mener à bien leur art. « L’avenir est entre les mains de Dieu. Le travail a besoin d’effort et de souffrance. Nous, les adultes, nous passons notre temps à l’art. Les filles d’aujourd’hui veulent se marier. Il y a celles qui ont des enfants, celles préoccupées par le travail ménager, elles ne sont plus concentrées sur l’art. Nous avons fourni beaucoup d’efforts pour arriver à ce stade. Les filles d’aujourd’hui accèdent au centre quand elles sont déjà adultes, elles veulent se marier d’abord, puis travailler. Il n’y a plus de jeunes filles comme de notre temps. Personne ne veut faire l’effort. Moi, sans le centre, je n’aurais pas existé. Le travail a atténué beaucoup de difficultés dans ma vie », confie ainsi Mariam Azmi Azer, dans un entretien accordé à l’auteure.
Exposition des tableaux d’Akhmim du 29 novembre au 9 décembre, au siège de l’Association de la Haute-Egypte, 65 rue Qobeissi, Daher, Le Caire.
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