Appartenir à la génération des lecteurs qui ont connu et suivi le magazine culturel Ibdae, fondé en 1983, est un privilège. Ibdae a été lancé par le regretté grand critique Dr Abdel-Qader Al-Qott, professeur de littérature arabe. En plus de ses choix et préférences haut de gamme, celui-ci a su faire preuve d’un mélange d’humour et de tendresse dans ses remarques et critiques, même négatives, ce qui a fait que le magazine est devenu une plateforme culturelle très active. En effet, grâce à cet esprit, Al-Qott, tel un chef d’orchestre, a réussi à accueillir tout le monde et à faire de la revue l’expression de la culture égyptienne, voire arabe.
Lorsque le grand poète Ahmad Abdel-Moeti Hégazi est devenu rédacteur en chef dans les années 1990, le magazine a commencé à susciter beaucoup de débats, voire des batailles parmi les intellectuels, à tel point que des copies de la revue étaient présentées au parlement égyptien avec l’accusation, plutôt spéciale, d’« inciter à la créativité ».
Ibdae a été longtemps négligée par le ministère de la Culture, notamment après le décès de Samir Sarhan, président de l’Organisme général égyptien du livre (GEBO) qui publie la revue. Ce n’est que grâce à l’insistance de Hégazi, appuyé par la communauté intellectuelle, que le magazine a survécu, mais il n’en reste pas moins que sa présence sur la scène culturelle a sensiblement diminué.
A son tour, l’écrivain Mohamad Al-Mansi Qandil, lorsqu’il a pris la fonction de rédacteur en chef il y a trois ans, a déployé de grands efforts pour que la revue reprenne sa place d’antan, mais les circonstances de son départ au Canada ont empêché son ambition et la publication de la revue s’est arrêtée pendant de nombreux mois.
Zèle et enthousiasme
Ibdae n’est rené de ses cendres qu’en début d’année 2017, lorsque le poète Ibrahim Daoud a pris la relève de la direction. Depuis, le magazine paraît à un rythme irrégulier. Daoud dispose d’une grande expérience dans le journalisme culturel et donne aussi volontiers leur place à de jeunes talents au sein du magazine. Il a de plus côtoyé de près de grands noms de la culture égyptienne, tels que Ghali Shukri, Ragaa Al-Nakkash, Salah Issa ou Youssef Al-Sharif.
Le 4e numéro du magazine (depuis la reprise début 2017) vient de paraître, et l’on peut dire que l’Egypte a finalement retrouvé sa grande revue culturelle, dont le niveau est supérieur à celui des autres revues culturelles arabes. A feuilleter le nouveau numéro d’Ibdae, on se demande comment Ibrahim Daoud et son directeur de rédaction, Hesham Aslan, ont réussi à préserver ce zèle et cet enthousiasme, alors que les circonstances sont tout sauf faciles. En effet, l’absence d’un réseau de distribution adéquat ainsi que la pénurie et les prix instables du papier influencent indubitablement la sortie, a priori mensuelle, de la revue. Mais Daoud, le poète, insiste sur le fait que la lumière vainque l’obscurité. Il présente un menu riche et diversifié, affirmant que la culture est la bouée de sauvetage du pays et prouvant qu’Ibdae — ou créativité — mérite bien son nom.
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