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Le spectre d’un monde sans valeurs

Mohammad Saad, Mardi, 08 mai 2018

Ibrahim Nasrallah a remporté le Prix international de la fiction arabe (IPAF) 2018 pour son roman Harb Al-Kalb Al-Saniya (la 2e guerre du chien). Il y explore les tréfonds de la dépravation humaine et dessine les traits d’un futur dystopique, empreint de brutalité.

Le spectre d’un monde sans valeurs

L’écrivain jordano-palestinien Ibrahim Nasrallah a remporté le Prix international de la fiction arabe (IPAF) 2018, doté de 50 000 dollars, pour son roman Harb Al-Kalb Al-Saniya (la 2e guerre du chien). L’un des cinq autres fina­listes, qui n’est autre que le Soudanais Amir Tag Elserr, a fait l’éloge de Nasrallah suite à l’annonce du lauréat. Mettant de côté tout esprit de compétition et jalousie artistique, Tag Elserr a notamment parlé de Nasrallah comme de son « frère aîné » dans un article publié dans le journal Al-Quds. « Je figurais sur la liste des six finalistes qui ont concouru cette année, et bien que le prix ne m’ait pas été décerné, je n’en garde aucune rancune. Bien au contraire, j’ai senti que mon frère aîné l’avait amplement mérité », a-t-il écrit.

Lors de la cérémonie de remise des prix, qui a eu lieu fin avril lors du Salon du livre d’Abu-Dhabi, le président du jury, Ibrahim Al-Saafin, a parlé du roman de Nasrallah comme d’une vision magistrale, mêlant les techniques du fantastique et de la science-fiction pour dépeindre un futur dystopique dans un pays sans nom. Avec humour et perspicacité, le roman aborde, en effet, la tendance inhérente de la société vers la brutalité, imaginant une époque où les valeurs humaines et morales ont été abandonnées et où tout est permis, même l’achat et la vente d’âmes humaines. Le roman se concentre sur le personnage principal cor­rompu, Rachid, qui passe d’un adversaire du régime dominant à un extrémiste matérialiste et sans scrupules.

Le professeur Yasir Suleiman, président du conseil d’administration de l’IPAF, a déclaré : « Le roman d’Ibrahim Nasrallah brosse un tableau effrayant de l’humanité, avec toutes ses potentialités destructrices. Sans boussole morale, le protagoniste transgresse les limites normales qui contraignent le comportement humain. Nasrallah attire habilement le lecteur dans ce monde à partir de différents points de vue, en utilisant un langage croustillant, dans lequel l’humour rend la relation au person­nage principal supportable, ou presque. Sa victoire est bien méritée ».

Provoquer et inquiéter les lecteurs

Nasrallah est né en 1954 de parents pales­tiniens qui ont été déracinés de leurs terres en 1948. Il a passé son enfance au camp de réfugiés d’Al-Wehdat, à Amman, en Jordanie, et a commencé sa vie professionnelle comme professeur en Arabie saoudite. Après son retour à Amman, il a travaillé comme journa­liste, puis, plus tard, pour la Fondation Abdul Hameed Shoman. Depuis 2006, il se consacre entièrement à l’écriture et s’est engagé comme formateur pour les écrivains émer­gents lors de l’atelier annuel des rédacteurs de l’IPAF en 2014 et 2016.

Quatre de ses romans et un volume de poé­sie ont été traduits en anglais, y compris Zaman Al-Khoyoul Al-Baydaa (le temps des chevaux blancs), qui a été présélectionné pour le Prix international de la fiction (Booker arabe) en 2009, et Qanadil Malek Al-Galil (lanternes du roi de Galilée), qui a figuré sur la liste longue en 2013. Dans un article paru en 2012 relatif à Le Temps des chevaux blancs, le magazine d’actualité bri­tannique The New Statesman a salué « la voix intensément éloquente de Nasrallah qui donne aux lecteurs occidentaux un aperçu de la vie des margi­nalisés ».

Après sa présélection pour La 2e Guerre du chien, Ibrahim Nasrallah avait déclaré dans un film exclu­sif pour l’IPAF : « Le roman a été écrit pour pro­voquer le lecteur, pour l’in­quiéter, voire pour faire en sorte qu’il soit à bout de souffle. La 2e Guerre du Chien est, à mon avis, un avertissement de ce que nous pourrions devenir dans le futur. Le roman commence avec une perte de certitude, de confiance envers ceux que vous côtoyez — ce voisin, frère, père, ou qui que ce soit. Le roman suggère que si nous continuons sur notre lancée, nous atteindrons un futur où nous serons principalement nihilistes ».

La 2e Guerre du chien a été choisi par le jury de l’IPAF comme la meilleure oeuvre de fiction publiée dans le monde arabe entre juillet 2016 et juin 2017 à partir d’une liste de 124 entrées provenant de 14 pays. Aux côtés du président Al-Saafin, universitaire, critique, poète, romancier et dramaturge jor­danien, les juges 2018 étaient : Inaam Bayoudh, universitaire algérienne, traduc­trice, romancière et poète ; Jamal Mahjoub, écrivain et romancière anglo-soudanais ; Mahmoud Shukair, écrivain et romancier palestinien ; Barbara Skubic, écrivaine et traduc­trice slovène.

Quant aux cinq autres finalistes, il s’agit d’Amir Tag Elserr, de Aziz Mohammed, de Shahad Al-Rawi, de Walid Shurafa et de Dima Wannous, qui ont eux aussi été honorés lors de la cérémonie et rem­porté chacun 10 000 dollars. Le Prix international de la fiction arabe est soutenu par la Fondation Booker Prize à Londres et parrainé par le ministère de la Culture et du Tourisme d’Abu-Dhabi.

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