« C’est ainsi que je vis … avec deux coeurs, deux corps et deux âmes ». Telles sont les paroles de l’héroïne du premier roman, récemment paru, de la journaliste Mayya Elhajj, intitulé Burkini. C’est l’histoire d’une jeune artiste-peintre qui oeuvre à perfectionner son existence entre le voile et la toile, entre voeux de conformisme religieux et voeux d’émancipation. Elle dessine des corps nus tandis qu’elle porte le voile dans une société arabe tiraillée entre la tradition et la modernité à laquelle elle n’a pas pris part. La peintre finit par trouver un espace de croisement entre les deux principes. « Depuis que j’étais toute petite, je me voulais originale. Il s’agit, en termes artistiques, de couleurs, de lignes et de figuration », dit l’héroïne. Elle tente d’être différente des autres femmes. Elle est nourrie du désir de se dégager de l’hybridité, d’être un corps de femme qui efface sa féminité en se voilant, devenant, du coup, une « a-femme ».
Le personnage principal, l’artiste-peintre, a « choisi un foulard bleu marine brodé de fleurs roses pour se couvrir la tête » et, dans les moments intimes avec son mari, elle décide de se maquiller et de porter une robe rouge, qui précise les contours de son corps.
Son dilemme au quotidien, entre son apparence et ses désirs féminins, on le lit dans le roman: « Dans cette chambre obscure, je deviens moi-même. Dans l’obscurité et le silence est née la femme que j’étrangle chaque jour avec un foulard nouveau ». L’héroïne est fiancée à un avocat, le premier homme qu’elle a connu. Un jour, lorsqu’elle se trouve avec lui au café, ils rencontrent l’ancienne bien-aimée du fiancé, une jeune fille libérale qui ne porte pas le voile. La présence de cette ancienne bien-aimée ravive le conflit interne dans lequel vit l’héroïne. Elle ne cesse de comparer entre le corps apparent de l’ancienne amoureuse et son propre corps voilé. Raison pour laquelle elle décide de se dévoiler devant le miroir, tous les soirs, en portant une robe rouge sensuelle. Elle décide de vivre l’expérience sensuelle et insiste sur le fait de rapprocher la date des noces. Ainsi, elle veut prouver à son fiancé sa sensualité et sa féminité.
Un conflit intérieur résolu
Dans ce roman, le corps devient un espace important d’action: appliquer un tissu-frontière à l’extérieur ou le transformer en toile d’accueil à l’intérieur (maquillage et autres gestes féminins). Le semi-voile la satisfait. Le foulard, dans ce roman, perd sa valeur esthétique du moment qu’il devient un symbole religieux. La contradiction entre voile et non voile est bel et bien exprimée dans le titre du roman, Burkini. Si le burkini cache le corps d’une part, il en accuse les contours, de l’autre. C’est du caché découvert qui déstabilise la femme et se dresse comme un obstacle devant le désir d’être agréablement nue.
La fin du roman connaît un moment révélateur. La scène d’amour lui a donné la joie de vivre. Elle décide dorénavant de continuer à porter le foulard « de façon décontractée ». C’est ainsi qu’elle déclare : « La peur que j’ai longtemps éprouvée devant les grandes questions a subitement disparu en faveur d’une force extraordinaire. Rien ne m’effraie, rien n’entrave mes rêves ». Elle se sent ravivée par le souffle d’amour pour son corps, pour son voile « libéré d’épingles » qui servent à le fixer sur ses cheveux et pour le voile libéré du pouvoir d’oppresseur sur la femme. Le voile, pour elle, est devenu à la fois un « libéré » et un « libérateur ». L’artiste-peintre finit par se détacher de l’identité opprimante du voile. Pour elle, ce moment de paix intérieure signifie émancipation.
Burkini de Mayya Elhajj, éditions Deffaf, Beyrouth, et en français aux éditions Erick Bonnier, 2017
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