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Lorsque le populaire prime sur le politique

Amr Kamel Zoheiri, Lundi, 05 mars 2018

Deux chercheurs, Tahrir Araj et Mohamad Agati, ont mené une enquête sur les principaux traits qui ont marqué les relations égypto-palestiniennes de 2005 à 2016, en mettant sous leur loupe tout ce qui a influencé les voies populaires et officielles.

Lorsque le populaire prime sur le politique

Les relations égypto-palestiniennes sont une question toujours d’actualité. Une nouvelle étude aborde ce sujet en se concentrant sur la période de 2005 à 2016. L’étude couvre, d’une façon intelligente, tous les moments difficiles que la région a vécus pendant cette décennie. « Qui est le plus influent sur l’évolution de la cause palestinienne ? Estce le pouvoir politique ? Ou bien la réaction populaire, que ce soit entre les peuples ou vis-à-vis des régimes ? ». C’est la question principale du livre Les Relations égypto-palestiniennes, les horizons de la cause entre l’officiel et le populaire, publié par le Centre des études palestiniennes à Beyrouth. L’ouvrage prend en considération tout au long de l’étude le lien des cheminements officiel/populaire et par conséquent, le degré d’influence sur le pouvoir, non seulement dans le cas de l’Egypte et de la Palestine, mais dans toute la région arabe.

Lorsque le populaire prime sur le politique

Les auteurs de l’étude sont Mohamad Al-Agati, chercheur en sciences politiques et directeur du Forum des alternatives arabes pour les études, et Tahrir Araj, maître assistant de sociologie à l’Université américaine du Caire et conseillère dans le domaine du développement dans nombre d’organisations en Egypte et en Palestine. De nombreuses interviews ont été menées sur les deux niveaux étatique, diplomatique d’un côté, et celui populaire, s’adressant aux gens ordinaires de l’autre côté. Ainsi, pour répondre à leurs questions, ils ont interviewé des diplomates, tel l’ancien ministre palestinien des Affaires étrangères, Nabil Chaath, des parlementaires égyptiens tel Haytham Al-Hariri, des chercheurs, des politologues et des politiciens dont nombreux ont préféré ne pas citer leurs noms, des journalistes comme Gamal Fahmi, des syndicalistes, des leaders d’opinion parmi les présentatrices des émissions télévisées, notamment à la suite de la révolution de janvier 2011, Rim Magued, ou des stars de la Radio, des professeurs des universités ou des photoreporters.

Tous analysent les relations délicates pendant l’ère Moubarak appréciées par son homologue palestinien en dépit des problèmes des points de passage entre l’Egypte et Gaza. Depuis cette époque-là, les organismes sécuritaires s’occupent des dossiers concernant les relations égypto-palestiniennes. Cette époque a vu également l’improbable rapprochement entre le Hamas et le Hezbollah.

Les changements régionaux et internationaux ont produit d’autres acteurs qui doublent le pas à l’Egypte et se précipitent à jouer son rôle de soutien principal de la cause palestinienne. S’ajoutent à cela les changements et les crises successifs marquant les deux pays et qui ont fortement influencé les relations égypto-palestiniennes. Du côté palestinien, la succession de Yasser Arafat par Abbas Abou-Mazen en 2005, sa persistance jusqu’à nos jours, bien après la date limite de 2009, la mainmise du mouvement Hamas sur Gaza, et surtout les batailles continues entre Fatah et le Hamas. Quant au côté égyptien, le rythme des changements successifs a changé les orientations de fond en comble, notamment avec les deux révolutions traversées par le pays, dans un espace temporel limité. Du rapprochement avec le pouvoir à Ramallah en humiliant le Hamas, pendant l’ère Moubarak, vers une politique désintéressée pendant la gérance du Conseil militaire, puis, vers l’opposé euphorique à l’arrivée des Frères musulmans au pouvoir pendant un an, puis le retour des relations comme auparavant à l’ère du président Al-Sissi.

Les médias, la voix du peuple

La question du célèbre mur israélien et de la réaction égyptienne, insuffisante selon les Palestiniens, a été l’une des cause de la dégradation des relations avec Le Caire. Mais c’est surtout l’action Hamas qui, avec le temps, a rendu l’ouverture des frontières terrestres entre les deux côtés une exception et non plus la règle. En réalité, Moubarak soupçonnait le Hamas et soupçonnait également Israël, et faisait confiance à l’Autorité palestinienne. Aujourd’hui, après le détour des Frères musulmans, l’Egypte officielle garde les mêmes distances avec les trois partis comme au vieux temps de cette décennie entre 2005 et 2016. Sur le plan populaire, la presse écrite demeure la voie du peuple en ce qui concerne les relations égyptopalestienne et reflète l’opinion la plus suivie par la population, qui est le soutien inconditionnel du peuple palestinien, victime du dernier apatride, et une critique féroce envers Israël.

L’étude note qu’un effet négatif a eu lieu, durant cette décennie, et a été très visible, et très nuisible, à l’image de la cause palestinienne en Egypte. C’était pendant la période de l’agitation du Hamas à Gaza (qui était ouvertement très proche des Frères musulmans en Egypte) et des pertes égyptiennes au Sinaï. Le langage pratiqué dans les médias télévisés en Egypte a unifié, d’une certaine manière, l’image négative des Palestiniens dans la pensée collective égyptienne, liant l’action du Hamas, agressif et opposé à l’Egypte, à l’ensemble du peuple et de la cause palestinienne. « Cela a eu un impact négatif sur l’imaginaire collectif du peuple égyptien à propos de la cause palestinienne », a expliqué la présentatrice Rim Magued.

Le peuple contre la normalisation

Néanmoins, la presse écrite égyptienne n’a pas cessé de soutenir la question palestinienne et n’a jamais cessé de demander au peuple et à l’Etat égyptien de soutenir la cause palestinienne. Et cela a équilibré la mouvance anti-palestinienne. L’étude révèle la déception palestinienne qu’aucun média palestinien ne soit influent sur l’ensemble de l’audience égyptienne, de ses deux voies officielles et populaire. Et cela au moment où le secteur des médias est prospère et en expansion en Egypte. L’étude confirme également l’appui donné de la diplomatie égyptienne, quasi en permanence, pour tout effort diplomatique palestinien devant les instances régionales ou internationales, et cela est documenté dans le livre par une annexe regroupant toutes les résolutions et décisions des instances internationales et régionales concernant la question palestinienne et auxquelles a voté l’Egypte entre 2005 et 2016. Déduction élémentaire : les instances régionales arabes cherchent plus à soutenir les négociations entre Palestiniens et Israéliens tandis que cet appui se manifeste moins dans les votes onusiens sur une échelle mondiale.

L’étude recense que les voix populaires égyptiennes combattent farouchement et fermement contre la normalisation des relations avec les Israéliens. Et cela se manifeste dans les décisions du boycott d’Israël des nombreux syndicats égyptiens. Sur le plan officiel, un soutien inconditionnel au peuple et aux instances palestiniennes n’exclut pas une critique mesurée pour Israël. « Officiellement, il existe un accord de paix entre l’Egypte et Israël, mais ce traité n’est jamais assimilé par le peuple égyptien, la preuve en est que le nombre de partisans de la normalisation des relations avec Israël, pendant 4 décennies passées, ne représente qu’un pourcentage minime parmi les Egyptiens. Il suffit de recenser les réactions populaires face à des actes politiques, comme lors de l’invasion de l’ambassade israélienne au Caire ou l’abaissement du drapeau, ou le débat autour du joueur de judo égyptien et son refus de saluer son homologue israélien, etc. », explique Névine Mossaad, professeur de sciences politiques à l’Université du Caire, lors de sa rencontre avec les chercheurs.

L’étude traverse la décennie en interrogeant les questionnés sur les points-clés : le retrait israélien unilatéral de la bande de Gaza, les élections législatives palestiniennes, la guerre au Sud-Liban, le schisme entre le Fatah et l’OLP, présente en Cisjordanie, et le Hamas, maître en bande de Gaza, le Printemps arabe qui a été aperçu par le président palestinien Mahmoud Abbas, comme des « événements qui tiendront au fond des effets négatifs sur la région », avouait-il à ses proches à l’aube du Printemps arabe, les Frères musulmans en Egypte, qui n’ont vu en Palestine que le Hamas, négligeant toutes les autres mouvances palestiniennes, l’alliance pragmatique du Hamas avec l’Iran et le Hezbollah grâce aux performances des deux factions respectives durant leur guerre contre Israël, une alliance qui a survécu l’affrontement sunnitechiite dans la région, qui a émergé également depuis les révolutions du Printemps arabe. Dix ans qui ont vu des événements denses et importants qui surpassent d’autres décennies plus calmes et plus monotones. A la fin du livre, les deux chercheurs souhaitent « enfin aux Palestiniens de se forger une troisième voie libre et populaire, entre ce qui est étatique et figé, et ce qui est radical et religieux », confessent Tahrir Araj et Mohamad Agati.

Al-Ilaqat Al-Masriya Al-Falastiniya, Afaq Al-Qadiya ma Bayn Al- Massar Al-Chaabi Wal Rasmi (les relations égypto-palestiniennes, les horizons de la cause entre l’officiel et le populaire), par Tahrir Araj et Mohamad Agati, aux éditions Institute for Palestine Studies, 2018.

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