C’est comme si subitement le président évincé, Hosni Moubarak, s’est rappelé dans la nuit du 11 février que l’Egypte était secouée par une révolution qui a fait des martyrs qui n’ont pas trouvé, bien sûr, la mort dans une guerre contre l’ennemi Israël par exemple, ou bien en contrant une invasion étrangère. Mais ils sont morts motivés par la mission de purifier le pays d’un autre genre d’occupation, locale mamelouke ayant fait de l’Egypte une entreprise d’investissement. Apparemment, il s’est faufilé loin de son entourage, il a pris la télécommande, a commencé à zapper sur une chaîne satellite autre que les chaînes égyptiennes officielles et s’est écrié : « Le sang des martyrs n’aura pas coulé pour rien. Je punirais en toute sévérité et avec intransigeance ceux qui l’ont causé. Je demanderais des comptes à ceux qui ont commis des crimes contre nos jeunes pour lesquels je ressens une douleur incomparable ».
Ensuite il a fait un discours éloquent, qui ne concerne que lui sur son intention de remanier six articles de la Constitution. Selon toute vraisemblance, il n’avait pas réalisé, à cause peut-être du décalage horaire de la révolution, que la Constitution était invalide depuis le déclenchement de la révolution, le 25 janvier précisément et son succès couronné sur la place Tahrir, le soir du 28 janvier. Ce discours aurait pu avoir l’écho souhaité, s’il était prononcé le 24 janvier, mais les soubresauts successifs des événements n’ont fait qu’agiter le pays, tout au long des 17 jours avant la date charnière de l’évincement, à savoir le 11 février. Les yeux de Moubarak emprisonné dans son entêtement traditionnel de longue date ne pouvaient en aucun cas voir l’avènement du nouveau Printemps arabe. Le dictateur ne demande jamais pardon et ne reconnaît guère les erreurs qu’il a infligées à son peuple. Il ne lui restait plus qu’à faire le signe de la victoire. Telle est la personnalité du dictateur. Comment peut-on alors chercher des excuses à l’écrivain ?
Dans son livre L’Armée et les Frères ... des secrets par derrière les rideaux, Moustapha Bakri narre le récit de Moubarak et des piliers de sa gouvernance et il atteste sans conteste que Moubarak n’a fait tirer sur aucun Egyptien, tout au long des 18 jours de révolte, à l’issue desquels il a été contraint de partir. Le choix des conteurs et des témoins est voulu.
Le livre de Bakri, paru chez Al- Dar Al-Masriya Al-Lobnaniya, fait office de chroniqueur. Il lève le rideau sur des événements dont quelques-uns datent du soir du vendredi 11 février 2011, qui n’était pas, selon lui, un renversement militaire. Mais une décision consensuelle entre Moubarak et un nombre de dirigeants politiques et militaires, afin d’éviter le scénario de l’anarchie. Après avoir prononcé le communiqué du départ de Moubarak, quatre grands noms, Tantawi, Omar Soliman, Ahmad Chafiq et Sami Anan, s’étaient mis d’accord à former un conseil présidentiel civil, qui serait une sorte d’organisme exécutif travaillant côte à côte avec le Conseil militaire qui a été mandaté par Moubarak pour gérer le pays. Avant la diffusion du communiqué d’abdication de Moubarak, il a été décidé de former un conseil présidentiel formé de 5 personnalités, Tantawi, Soliman, Chafiq, Mohamed ElBaradei comme représentant des courants libéraux et une autre personnalité dont le nom Bref, l’idée de ce conseil, quelle que soit sa configuration, a été écartée plus tard, de peur que des réactions haineuses la rue et qu’il ne devienne un sujet de discorde entre les différentes couleurs de l’arc-en-ciel politique.
Bakri dit qu’il était un témoin de nombreux événements et que Tantawi lui avait demandé de devenir conseiller du Conseil militaire et qu’il avait approuvé de manière officieuse. De par sa position, il livre le secret selon lequel Sami Anan avait proposé le 29 janvier à Tantawi de mener un renversement militaire sauvant l’Etat égyptien de la faillite et de préparer la tenue d’élections présidentielles anticipées. Apparemment Sami Anan voulait gagner du temps. Mais Tantawi a refusé, lui disant : « Nous devons attendre le peuple l’obligera à quitter le pouvoir ».
Tantawi s’est mis d’accord avec Omar Soliman, le soir du 10 février, sur la nécessité du départ de Moubarak pour Charm Al- Cheikh, après l’intention affichée d’avancer vers le palais présidentiel « que le pays ne se trouve entraîné dans un bain de sang pour reprendre les propos des deux exgénéraux. Selon Bakri, Moubarak a refusé la proposition de Soliman de lui accorder une certaine i m m u n i t é judiciaire, car ne sachant rien du cours que prendraient les événements. Moubarak a nié l’idée de tout crime ayant été commis et lui a réitéré : « Je suis prêt à ce qu’on me demande des comptes ». S’il accepte l’immunité, disait-il, cela voudrait dire qu’il avait quelque chose à cacher. L’auteur ne dit rien des martyrs des 30 années de corruption et n’évoque même pas ceux de la révolution qui a été détournée par ses deux ennemis : les feloul (les anciens du régime de Moubarak) et les Frères musulmans.
Moustapha Bakri, L'Armée et les Frères …, éditions Al-Dar Al-Masriya Al-Lobnaniya, 2013
Réalités occultées
En avril 2012, le réseau arabe des informations sur les droits de l’homme a publié le livre Une Lumière sur la voie de la liberté … les martyrs de la révolution du 25 janvier regroupant les noms des 841 martyrs tombés durant les 18 jours ayant suivi le 25 janvier. 551 sont tombés lors du Vendredi de la colère. 673 sont morts par balles. Et toutes ces réalités n’ont apparemment pas préoccupé Moustapha Bakri qui cherche à faire l’éloge du rôle du Conseil suprême des forces armées dans la révolution et à ignorer des preuves. Evoquons à titre d’exemple la tournée effectuée par le commandant de la région militaire centrale, Hassan Al-Roueiny, sur la place Tahrir, le samedi 5 février, et qui a vu de ses propres yeux les séquelles de la « bataille du chameau ». Mais l’homme a juré au nom de Dieu que les citoyens avaient voulu ce vendredi rentrer chez eux … mais que les rebelles les en avaient empêché. C’est pourquoi ils ont crié au secours de l’armée. Cette même personne en s’adressant à tort à des manifestants qu’elle croyait des soldats dans une caserne, a déclaré : « Retirez-vous. C’est juste un peu de bruit pour faire pression sur le gouvernement. Personne ne peut faire pression sur le gouvernement. L’armée n’est ni acteur, ni concernée par la révolution ».
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