Telle une Schéhérazade qui découvre ses talents de conteuse par la force des choses, l’artiste-peintre Héba Helmi révèle, elle aussi, ses dons certains pour l’écriture. Pour ce faire, l’artiste écrivaine a recours à son vieux sac à main, sorte de caverne d’Ali Baba, rempli d’histoires, de petits papiers, de notes et de souvenirs pour écrire son roman Une fille dans un sac.
A travers l’ensemble de ces bribes d’histoires et de souvenirs, l’auteur nous fait remonter le temps jusqu’à arriver à l’enfance de l’héroïne du livre. On découvre ses parents médecins, leur amour, leur désaccord et leur divorce, mais aussi et surtout le séjour de la jeune fille dans les pays du pétrodollar. Née au début des années 1970 dans une famille de classe moyenne, l’héroïne remonte dans ses origines familiales jusqu’à retrouver la figure de son grand-père, exemple type du pouvoir masculin. Elle raconte l’éducation sévère des écoles religieuses de l’époque, et revient sur le début de sa prise de conscience sociale et du chemin parcouru jusqu’au déclenchement de la révolution du 25 janvier 2011. Ce moment-clé de l’histoire est décrit joliment. Elle en parle comme d’un moment « où nous avons retrouvé notre amour de soi, parce que nous étions ensemble, tel que nous aimerions l’être ».
Réveiller les souvenirs
Bent Fi Haqiba est une boîte de Pandore, une boîte à souvenirs, qui s’est enfin ouverte pour libérer tous ces secrets, mais aussi une jeune fille trop longtemps écrasée par les carcans de sa société. Libérer le souvenir, libérer la mémoire emprisonnée dans un sac serait le premier pas dans la quête de soi à travers l’écriture. Sur la couverture, l’auteur évite le mot roman et lui préfère une autre classification plus proche de cette forme d’écriture qui est « textes ». 63 textes construits comme les chapitres d’un roman forment la totalité de cette oeuvre qui flirtent avec l’essai ou la nouvelle, puisque chaque texte peut se lire indépendamment. « J’organise les anciennes anecdotes dans ma tête comme s’il s’agissait d’un rêve oublié au moment du réveil. J’appelle ses images et en compose des histoires de façon totalement libre. Une histoire peut être réinventée de A à Z », insiste l’auteur qui rappelle l’importance de laisser le jeu de la mémoire, de l’oubli, du rappel et de l’invention se mouvoir en toute liberté. Car pour l’artiste c’est cette liberté de créer qui compte, que ce soit dans sa carrière de peintre ou dans son travail d’écriture. C’est pourquoi on ne peut pas séparer l’expérience de l’écriture de celle de la peinture chez Héba Helmi. De plus, il existe un rapport très clair entre sa dernière exposition de peinture, intitulée Old School, et sa première oeuvre littéraire Une fille dans un sac. Dans les deux cas, il est question d’un regard très personnel sur les choses, détaché des formes préétablies et des lieux communs.
Ecrire pour ne pas oublier
Dans la tendance généralisée post-révolution de documenter les jours de la place Tahrir et d’écrire l’histoire qui se passe sous les yeux de tout un chacun, certains artistes, y compris Héba Helmi, sont allés à la recherche d’eux-mêmes, de leur histoire personnelle. Répondre aux questions de l’individu pour aboutir aux questions plus élaborées des mouvements sociaux, de leur succès ou de leur échec, tel est l’enjeu. Cette quête, Héba Helmi l’a amorcée dans son livre de graffiti Gowaya Chahid (je porte en moi un martyr. L’art de la rue) en 2013, puis, dans son exposition de portraits intitulée Old School, en 2016. Absorbée par le rêve du changement qu’avaient laissé croire les 18 jours les plus intenses de la place Tahrir, Héba a trouvé dans l’art de graffiti l’expression la plus proche du rythme des masses en colère. Mais même dans son initiative de documenter l’art de la rue, Héba est passée par des textes personnels, qui se situent entre littérature et témoignage.
Dans son exposition, elle a présenté des visages au regard mêlant mélancolie et panique. Des figures proches de celle du fameux tableau Le Cri de Munch, où le rêve du changement est apparu, mais est resté suspendu dans le vide sans que personne puisse finalement le saisir. L’exposition Old School faisant également un hommage à l’art de portrait que la peintre défend contre les courants postmodernes qui refusent l’art figuratif. Il s’agit là d’un autre trait qui caractérise cette artiste qui, au-delà de sa modernité, défend le goût classique et la nostalgie de l’art du portrait figuratif. C’est dans cette démarche de documenter l’histoire des individus au quotidien que Héba est arrivée dernièrement à l’écriture d’Une fille dans un sac. En ouvrant le sac des souvenirs et de la mémoire, la jeune héroïne nous donne accès à des univers rarement abordés, comme ceux des écoles religieuses du début du siècle et des coulisses des hôpitaux publics et privés, d’Egypte et de Djedda. Elle aborde également et sous des aspects inédits le pèlerinage touristique à La Mecque qu’elle a fait à maintes fois et dont elle présente une image que les écrans de télévision ne diffusent jamais. Même si les textes qui décrivent les émeutes massives de la place Tahrir, le sit-in des Frères musulmans à la place Al-Nahda, en bas de la maison de la jeune héroïne, ou celles de Maspero ne dépassent pas les trois textes, ces événements restent un témoignage fort et forme la raison d’être de cette oeuvre, à savoir : documenter à sa manière ce moment glorieux. « Ce n’est pas un rêve. Nous avons vécu entre les blessés qui s’enfuyaient de l’hôpital de la place Tahrir pour rejoindre le champ de bataille », écrit-elle. Héba termine ce beau texte par ce constat toujours étonnant : « Ils veulent que nous ne gardions que la mémoire de la défaite, celle de la mort en continu et la mémoire de la peur ».
Bent Fi Haqiba (une fille dans un sac) de Héba Helmi, éditions Dar Al-Aïn, Le Caire 2017.
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