Il est prénommé le méchant adorable, mais aussi le prince charmant inoubliable ou encore le comédien inégalable. Son regard profond, son corps robuste et ses éclats de rire sincères lui ont valu des rôles de « jeune premier » dans les années 1950 et 1960. L’acteur Rouchdi Abaza (décédé le 27 juillet 1980) est toujours vivant dans la mémoire des fans du cinéma égyptien, malgré sa disparition il y a 37 ans. La biographie de Abaza, publiée par le Centre d’Al-Ahram pour la traduction et l’édition, a remporté un grand succès depuis sa parution au Salon du livre international du Caire de 2017. L’écrivain, journaliste et critique Ahmad Al-Samahi a fait le choix d’écrire une biographie sur cet acteur égyptien parce qu’aucune biographie complète de l’acteur n’était jamais sortie. Son livre s’intitule Rouchdi Abaza, Al-Don Juan … Ostourat Al-Abyad Wal-Aswad (Rouchdi Abaza, le Don Juan … La légende du noir et blanc). En plongeant dans la vie privée et familiale de l’acteur, et en regroupant des témoignages de critiques artistiques, l’écrivain a réussi à faire comprendre et à transmettre le talent et le génie de cet acteur singulier. « Abaza était un acteur qui savait incarner les personnages de ses films, quel que soit le niveau de compétence du réalisateur », écrit le critique de cinéma et chercheur Achraf Gharib. Des personnages comme Ezzat, le kidnappeur de l’enfant d’un millionnaire, Esmat Kazem, le trafiquant de drogue, Hussein pacha Chaker, l’opportuniste, ou encore Mourad, l’homme aux multiples femmes, Dr Hosni, le dentiste et Hassan, le vétérinaire, sont des personnages-clés gravés à jamais dans la mémoire du cinéma égyptien. L’enfance et la vie familiale d’Abaza lui ont donné la force de caractère et la créativité nécessaire pour incarner tous ces personnages avec brio. « Aucun acteur n’a réussi jusqu’ici à prendre la place de Rouchdi Abaza dans le coeur des Egyptiens. Nour Al-Chérif, Mahmoud Abdel-Aziz ou encore Ahmad Zaki étaient très bons, mais ils n’ont jamais surpassé Abaza. Celui-ci était un mélange entre l’Italie, du côté de sa mère, et de l’Egypte, du côté de son père. Il représentait ces deux cultures à merveille », explique le défunt psychiatre Adel Sadeq, dans un article publié en 1996 et cité par Al-Samahi dans son livre.
Une enfance tumultueuse
Abaza est né le 3 août 1926 d’une mère italienne, Thérésa Louidjy, femme d’affaires, et d’un père égyptien, Saïd Al-Baghdadi Abaza, général de police. Mais les parents du jeune Rouchdi se séparent alors qu’il rentre tout juste à l’école Saint-Marc d’Alexandrie. Rouchdi est alors partagé entre la vie à l’européen dans la communauté italienne de la famille de sa mère et la rigueur et le conservatisme de la famille de son père. « Cette contradiction entre les deux cultures a créé chez Rouchdi une sensibilité et un ensemble de sentiments dont il se servira plus tard dans son travail », indique Al-Samahi dans son livre. Après le bac, Rouchdi abandonne ses études à la faculté de commerce pour créer sa propre entreprise, un magasin de pièces détachées automobiles. Mais l’affaire ne fonctionne pas bien. Un soir, dans un club de billard, il rencontre le réalisateur Kamal Barakat, qui lui propose son premier rôle en 1948. Mais son père et le reste de sa famille paternelle refusent que leur fils devienne acteur. Sa mère ne l’encourage pas non plus. Son père finit par le chasser de la maison, parce que Rouchdi refuse de renoncer au cinéma. Devenir acteur devient alors son nouveau défi. Le jeune Rouchdi ne retournera dans sa maison familiale qu’après être devenu la grande star que l’on connaît aujourd’hui.
Une légende du cinéma
Au début des années 1950, il interprète d’abord des seconds rôles, comme dans Awlad Al-Chawarie (les enfants des rues), en 1952, et Al-Moämara (la conspiration) en 1953. Ce n’est qu’en 1958 dans Imraa Aala Al-Tariq (une femme sur la route) qu’il obtient enfin un premier grand rôle. C’est alors l’occasion pour Rouchdi Abaza de révéler tout son talent. A la fin des années 1950 et début 1960, il devint l’un des acteurs les plus célèbres de son époque. Il réussit avec talent à interpréter plusieurs grands rôles dans des films restés cultes, comme Al-Ragol Al-Sani (le deuxième homme), Siraa Fil Nil (combat sur le Nil) en 1959, Al-Zoga Al-Talattachar (la femme n°13) en 1962, ou encore Chaïe Fi Sadri (quelque chose dans mon coeur) en 1971. Doté d’un physique plutôt avantageux, Rouchdi Abaza n’a aucun problème à incarner le grand brun séducteur à l’écran. Mais il réussit à varier ses rôles, passant du comique au dramatique, et incarnant avec brio le bourgeois, le paysan, le soldat, le voyou ou encore le bandit. Son rôle dans le film La Femme n°13 est le plus proche de sa réelle personnalité, puisque Rouchdi était connu pour son instabilité amoureuse.
Sa vie sentimentale s’est d’ailleurs ponctuée par plusieurs rencontres et mariages. Multilingue, il a eu des relations et s’est marié plusieurs fois avec des étrangères et des Egyptiennes, comme la chanteuse française Anne Barbier, l’actrice Kamélia, la vedette Carioca et la chanteuse Sabah, mais sa véritable histoire d’amour fut avec la star Samia Gamal. Leur mariage durera 17 ans. En 1980, atteint d’un cancer, il ne termine pas le tournage de son dernier film, Al-Aqwiyaa (les puissants), et meurt la même année, le 27 juillet, à l’âge de 53 ans. Ses derniers mots étaient « Priez pour moi, je vous ai tous aimés ».
Le livre d’Ahmad Al-Samahi est doté de plusieurs photos de Rouchi Abaza, de sa famille et de quelques affiches de films, comme pour rendre hommage à cette star du grand écran qui, malgré son incontestable talent et la popularité sans égale, n’a jamais été primé de son vivant par les festivals de cinéma de son époque.
Lien court: