« Dans mon dernier ouvrage, j’ai appelé les mouvements islamistes égyptiens à adopter une nouvelle jurisprudence qui soit compatible avec l’ère moderne », annonce le journaliste spécialisé dans les mouvements islamiques, Kamal Habib, dans un article paru dans Al-Youm Al-Sabie. Il y explique comment « ce changement ne pourra avoir lieu qu’en s’éloignant des idées extrémistes qui visent à réaliser les intérêts des membres du mouvement sans aucune considération pour l’intérêt de la nation. Au lieu du modèle de l’islam radical djihadiste, il est indispensable que le mouvement islamiste aborde une nouvelle version de l’islamisme qui soit plus flexible, de type réformiste et autocritique pour être plus positif ». Cette phrase résume le dernier ouvrage de Kamal Habib publié au mois de mai dernier par l’institution de presse Dar Al-Tahrir, Al-Gomhouriya.
Il s’agit du livre intitulé La Crise du mouvement islamiste en Egypte : Nouvelle lecture dans les idées et les transitions. En 222 pages et à travers 4 chapitres, l’écrivain dissèque les sources de la crise du mouvement islamiste en Egypte et essaye de présenter des propositions qui aident le mouvement islamiste à sortir de sa stagnation. Dans le premier chapitre, Habib passe en revue les différentes phases de la relation entre le gouvernement égyptien et le mouvement islamiste, ce qui fait de l’ouvrage un apport scientifique et académique remarquable à l’étude des mouvements islamistes en Egypte. Le moteur principal qui a poussé l’auteur à rédiger son ouvrage est l’échec des Frères musulmans pendant leur première expérience à la tête du pouvoir politique en Egypte entre 2012 et 2013. « Les Frères musulmans ont échoué à l’échelle politique, économique, sociale, voire, ils ont perdu le statut religieux sur lequel ils se sont toujours appuyés. C’est cet échec multidimensionnel qui a augmenté la colère des Egyptiens et a mené la confrérie à perdre de nombreux partisans », explique Habib. C’est cette éclipse des islamistes qui a mis en relief la crise générale du mouvement islamique et a incité Habib à y réfléchir. « Le mouvement islamiste doit retourner à sa nature première pure. Il doit retourner à la tradition des textes religieux et avoir une nouvelle lecture de l’islam donnant la primauté aux sources du Coran et de la Sunna, c’est là où réside la solution à sa crise », explique Habib.
Des erreurs fatales
Avant de présenter sa conception pour résoudre la crise du mouvement islamiste, l’auteur avait essayé de dévoiler les erreurs commises par ce mouvement. « Ce dernier, avec ses deux courants : réformiste auquel appartient la confrérie des Frères musulmans, et djihadiste auquel appartiennent les divers mouvements islamistes apparus à la fin des années 1960 dans un cadre étatique répressif comme Al-Gamaa Al-Islamiya et Gamaet Al-Takfir Wal-Hijra, commet des erreurs qui durcissent la crise du mouvement islamiste », souligne Habib. L’un des problèmes majeurs de ce mouvement cité dans l’ouvrage est l’absence totale d’une vision critique de son parcours et de ses stratégies. « Les groupes appartenant à ce mouvement ne reconsidèrent jamais leurs visions en vigueur depuis des décennies. Il fallait assurer la compatibilité entre les cadres idéologiques des groupes islamistes avec les changements dont témoigne la société », explique Habib. En plus, l’auteur critique le fait que certains groupes appartenant à ce mouvement récusent la version occidentale de la démocratie qui, selon eux, transfère indûment le pouvoir qui n’appartient qu’à Dieu au peuple et voient que l’instauration de l’Etat islamique est une obligation, et qu’il est indispensable de lutter contre toute autre forme d’Etat. En outre, Habib remarque : « La plupart des groupes constituants du courant islamique ne connaissent que le djihad violent et permanent comme méthode de rupture et comme moyen de réalisation des buts ». L’auteur pense qu'« au lieu d’utiliser la Hard Power (la force de la violence), ces groupes doivent utiliser la Soft Power (force douce), ainsi que la Smart Power (force intelligente) pour réaliser leurs objectifs pacifiquement. Et ils doivent accepter les règles du jeu politique, tout en s’éloignant du recours à la violence et du travail clandestin ».
Révisions primordiales
« Après le déclenchement des révolutions arabes en 2011, j’ai pensé qu’on avait dépassé l’époque des révisions idéologiques et qu’on est entré dans l’ère de la participation des islamistes au pouvoir. Mais la manière avec laquelle les islamistes ont agi, une fois au pouvoir, a fait perdre au pays une chance historique d’une vraie transition démocratique », avance Habib dans le dernier chapitre. D’après l’auteur, « l’islam politique restera ancré dans la société égyptienne. Ainsi, les islamistes doivent tirer les leçons de leur expérience malheureuse. A cet égard, les révisions idéologiques apparaissent comme une nécessité incontournable pour le mouvement islamiste », affirme Habib. Pour l’auteur de l’ouvrage, le facteur décisif que les groupes islamistes doivent prendre en considération en faisant leurs révisions est le besoin d’un retour à la tradition première, celle du Coran et de la Sunna du prophète. « Afin de préserver sa cohésion, le mouvement islamiste doit avoir pour fin la réalisation de l’intérêt de la société, et pas celui d’une certaine fraction de la population », précise-t-il.
Et en parallèle à ces révisions, Habib croit : « Les mouvements islamistes doivent développer un cadre théorique clair qui met en lumière leurs différentes visions et positions. En plus, ils doivent laisser tomber leur arrogance et arrêter de se considérer comme étant la seule alternative au système politique en place ». Il ajoute : « Les groupes islamistes doivent ainsi collaborer l’un avec l’autre pour sortir le mouvement de sa crise ».
Cet ouvrage peut s’imposer comme une référence réaliste pour les chercheurs qui s’intéressent à l’islamisme, vu que l’auteur est un ancien membre de la Gamaa Islamiya, et a été emprisonné sous le régime de Moubarak.
Azmet Al-Haraka Al-Islamiya Fi Misr (la crise du mouvement islamiste en Egypte) de Kamal Habib, éditions Al-Gomhouriya, 2016.
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