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Libye est l’invitée d’honneur du 44e Salon du livre du Caire : l’occasion d’évoquer dans des discussions le rôle du régime de Kadhafi dans la créativité et l’écriture. Un rôle qui semble peu reluisant. Pendant deux jours, romanciers, écrivains ou critiques libyens ont fait part de leurs témoignages sur cette époque et de la manière dont ils appréhendaient l’écriture, la publication et la diffusion de leurs oeuvres. Il fallait, comme le dit Mohamed Al-Tarhuny, écrivain et critique, inventer de nouvelles voies pour contourner les tentatives du régime de détruire la moindre plume créatrice du pays. Au sein des grands noms de la littérature libyenne, chacun avait sa propre méthode. Ibrahim Al-Koni parlait d’un
monde touareg en continuelle errance et Mohamed Al-Asfar s’immergeait dans un univers fantastique. « Mohamed Al-Amamy s’échappait dans le monde de la mer et des marins alors qu’Al-Fakeeh ne parlait que de l’Europe. Aucun d’eux n’a jamais décrit la réalité ni abordé les problèmes sociaux de l’époque. Ils avaient tous le talent d’écrire des nouvelles et des romans, mais ils étaient en perpétuelle recherche d’un contexte pour leurs histoires leur permettant de s’exprimer sans contrainte. Ils évitaient d’évoquer les questions sensibles. Par conséquent, ils sont tombés sous la coupe de la culture dictatoriale qui s’est avérée superficielle et sans intérêt », explique Al-Tarhuny.
Le tournant de 1969
Diplômé de l’Université du Caire, Ahmed Nasr est un auteur libyen apprécié. Pour lui, l’arrivée de Kadhafi a eu un impact négatif sur la scène culturelle. Celle-ci fut reléguée au second plan, loin derrière les ambitions de développement du pays. Il se rappelle qu’en 1965, soit 4 ans avant le coup d’Etat, un concours littéraire fut lancé dans le but d’encourager les jeunes auteurs. Mais en 1969, il fut annulé et remplacé par un autre de moindre importance. Finalement, il fut entièrement annulé : la porte d’entrée des nouveaux talents littéraires se refermait.
Malgré le contexte peu propice à la création, les auteurs libyens s’arrangeaient pour diffuser leurs oeuvres, les publiant souvent à compte d’auteur. Si avant 1969, l’Etat encourageait ces initiatives — en achetant quelques centaines d’exemplaires de ces romans pour les distribuer dans les écoles ou autres — après l’arrivée de Kadhafi, le régime mit un terme à ces pratiques. Il s’empara des centres culturels aussi bien que des librairies des écoles pour les contrôler sans partage. La dernière étape de cette volonté de contrôle fut la création de l’Organisme libyen pour la créativité, l’édition et la diffusion, en 1974. Nasr précise que dans les années 1980, cet organisme ne sponsorisait que les textes traitant du fameux Livre vert de Kadhafi, et qu’un petit nombre d’auteurs seulement. « Les manuscrits pouvaient attendre 5 ans avant d’être publiés par l’Organisme, quand ils n’étaient pas simplement rejetés. D’autres auteurs pouvaient publier 4 livres par an. Une guerre se déclenchait contre la littérature, la culture et la liberté », s’insurge Ahmed Nasr.
Et d’ajouter : « Et pour enfoncer le clou, le régime détruisait aussi les lecteurs, en décourageant toute volonté de lire dès l’université ». Aujourd’hui, pour Nasr, l’heure est à l’optimisme. Après des décennies de stagnation, la révolution est, selon lui, capable de redonner au livre ses lustres d’antan. Même idée chez Mohamed Al- Malky, directeur du département d’analyse des discours à Benghazi. « La vraie créativité libyenne est aujourd’hui celle d’Internet. Une idée s’y propage rapidement, recevant des autres utilisateurs des critiques ou des apports. La créativité libyenne n’est pas dans le monologue des livres », estime-t-il. Mais dans la littérature libyenne, tous les noms ne font pas l’objet de consensus. L’élite intellectuelle reste divisée. La preuve ? Inévitablement, la politique revient au coeur du sujet et beaucoup d’entre eux n’ont alors plus qu’une idée en tête : critiquer le pouvoir actuel qui sévit de Tripoli à Benghazi .
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