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Gamal Al-Ghitany : le dernier voyage du maître des Illuminations

Dina Kabil, Lundi, 19 octobre 2015

Le grand romancier Gamal Al-Ghitany s’est éteint à l’âge de 70 ans. Il restera l’une des figures majeures de la littérature arabe contemporaine, aux côtés de Naguib Mahfouz et de Yéhia Taher Abdallah. Retour sur celui qui fit du patrimoine arabe une oeuvre littéraire d’exception.

Le dernier voyage du maître des Illuminations

La mort de Gamal Al-Ghitany, figure ico­nique du roman arabe, marque la fin de la généra­tion des années soixante. L’écrivain était aussi l'un des fondateurs de l’une des principales revues litté­raires du monde arabe, Akhbar Al-Adab. C’est à travers cette revue, fondée tardivement en 1993, qu’il noue un rapport solide avec les nou­veaux talents de la littérature, tout en continuant d’accomplir « sa mis­sion » d’écrivain, lui qui fut disciple et ami de Naguib Mahfouz. Ghitany est, par ailleurs, l’écrivain arabe le plus traduit en français après Naguib Mafhouz (voir encadré), en dépit d’une écriture qui s’inspire large­ment du patrimoine arabe et de la littérature soufie.

Al-Ghitany eut plusieurs vies. Dessinateur de tapis à 17 ans, autodi­dacte qui commence à écrire à 14 ans, il devient reporter de guerre à 23 ans, puis opposant politique, incarcéré en 1966-1977 pour avoir critiqué le régime de Nasser. Il est notamment l’auteur de l’incontestable Zayni Barakat (1974), qui dénonce la cor­ruption politique. Son oeuvre phare est Le Livre des illuminations (1987). Il restera aussi connu comme le présen­tateur des Tagalliyate Masriya (illu­minations égyptiennes), un pro­gramme télé sur Le Caire islamique, qui tirait son succès de ses talents de conteur.

Son enfance, qu’il passe dans le quartier populaire de Gamaliya, façonne sa conscience du monde et marquera l’ensemble de son oeuvre. Né dans une famille pauvre, il est bercé par le paysage architectural de Gamaliya et prend très tôt contact avec les bouquinistes du quartier. Son oeuvre respire les lieux mythiques de son enfance, décrits aussi par Mahfouz.

Cette ambiance, exhalant le patri­moine, s’associe dans son oeuvre à son modèle d’art populaire que furent pour lui Les Milles et une nuits. Toute sa vie, il défendra cet ouvrage, regret­tant que cette oeuvre majeure n’ait toujours pas reçu l’intérêt qu’elle mérite (voir entretien).

Ghitany excellait particulièrement dans le dosage presque magique mêlant patrimoine classique et écri­ture contemporaine. Ghitany expli­quait dans un entretien à Al-Ahram Hebdo à l’occasion de son obtention du prix Laure-Bataillon (pour la tra­duction des Tagalliyate, Le livre des illuminations) : « J’ai eu deux expé­riences fondamentales dans ma vie. La première est Tagalliyate, cet ouvrage écrit à l’ombre des Illuminations de La Mecque d’Ibn Arabi, le poète soufi. La seconde est Zayni Barakat, qui s’inspire de Badaïe Al-Zohour Fi Waqie Al-Dohour (les splendeurs des chroniques des époques) de Ibn Iyas. J’ai été aussi beaucoup marqué par d’autres oeuvres que j’étudiais sous un nou­veau jour dans le but de retrouver l’éloquence du style égyptien à l’époque des Mamelouks. Vous pou­vez ajouter à cela un intérêt particu­lier pour l’architecture qui me fascine toujours, car elle me permet de trou­ver une spécificité dans la construc­tion romanesque. Ma relation avec l’univers mystique, notamment le tra­vail d’Ibn Arabi, m’a sauvé après la mort de mon père. Quant au fait de recourir à une écriture fragmentée, je le considère comme une modernité inversée. Il y a eu une rupture entre l’écriture ancienne et nouvelle. L’ancienne possède des éléments qui dépassent l’écriture actuelle, mon rôle et l’essence de mon expérience sont de redécouvrir ces éléments ».

Aujourd’hui, l’on se rappelle cet entretien, où il avait confié que l’écriture des Tagalliyate lui avait servi à « conjurer la mort ». Contre la mort, Ghitany s’attachait à l’idée du voyage des Anciens Egyptiens, de la sortie vers le jour. Dans les Tagalliyate, il s’adresse au Divan, sorte de tribunal imagé, et reçoit un messager qui lui dit : « Voyage dans les illuminations, voyage encore et encore, le dormeur voit ce que l’éveillé ne voit point ».

Le dernier voyage du maître des Illuminations

Illumination de la plénitude, extrait du Livre des illuminations
Après quarante révolutions des astres, j’ai eu la vision de mon père : il s’est manifesté spirituellement à moi dans le néant du lieu, dans l’étran­geté du temps, dans un horizon ramassé et non étalé, dans des dimen­sions perçues faute d’être vues, entre des murs bâtis de matières incon­nues de nous, qui n’étaient ni de bois ni de pierres ; quant au toit, il était taillé dans une lueur écarlate, dont la couleur était singulière, sans rap­port avec notre spectre coutumier. Mon père était assis en face de moi, je le voyais de profil, dans une pose où je n’avais pas eu l’habitude de le voir. Je me suis avancé vers lui, le coeur battant, mû par un élan d’enthou­siasme, mais au bout de quelques pas, je me suis arrêté, incapable d’avan­cer davantage, du reste, toute velléité de mouvement m’a bientôt aban­donné et je me suis résigné à l’immobilité. (…)

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