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Au chevet de l’Afrique

Abir Taleb avec AFP, Mardi, 16 octobre 2012

Les membres de l’OIF se sont engagés à soutenir l’Afrique dans tous les domaines et ont adopté une série de résolutions sur les crises en RDC, au Mali, à Madagascar et en Guinée-Bissau

Francophonie
Le sommet a donné lieu à un vif débat entre Kabila et Hollande sur la démocratie en RDC. (Photos : Reuters)

Le XIVe sommet de la Francophonie s’est achevé dimanche dernier après de vifs débats, voire des tensions, notamment sur la question de la démocratie en Afrique. Ainsi, Joseph Kabila, président de la République Démocratique du Congo (RDC), hôte du sommet, n’a pas mâché ses mots. Lors de la conférence de presse finale, il a tenu à avoir le dernier mot dans les échanges qu’il avait eus à Kinshasa avec le président français, François Hollande. « La RDC, notre pays, est fière de la démocratie exercée dans ce pays. La RDC n’est pas du tout complexée par le niveau de démocratie, de liberté, de la situation des droits de l’homme », a-t-il insisté. « Nous pratiquons la démocratie dans ce pays par conviction. Conviction, et non pas par contrainte », a-t-il dit.

Une réponse virulente aux propos de M. Hollande, qui avait estimé, samedi, que la situation en RDC était « tout à fait inacceptable sur le plan des droits, de la démocratie et de la reconnaissance de l’opposition », et s’était fait l’avocat des droits de l’homme auprès de Joseph Kabila, qu’il avait rencontré samedi, avant même l’ouverture du sommet. Le climat s’est vite envenimé et, au côté de M. Kabila à la conférence de presse, la ministre française de la Francophonie, Yamina Benguigui, a dû répondre, embarrassée, à une question ironique sur « le jeu du chat et de la souris » joué par la France et la RDC sur la question des droits de l’homme. « Il n’y a pas de jeu », s’est-elle contentée de répondre. Pour calmer la situation, Mme Benguigui a fait preuve de diplomatie en présentant la RDC comme un « immense pays avec une jeune démocratie ». Tout en ajoutant : « Si l’on peut apporter un peu plus sur la situation des droits de l’homme, ce pays, déjà très grand, sera beaucoup plus fort ». Cela n’a pas empêché M. Kabila de quitter la salle sans saluer Mme Benguigui.

En évoquant la question de la démocratie, M. Kabila a assuré que pour dresser un tel bilan, il fallait poser trois questions : « Qui avait supprimé la démocratie dans ce pays ? Qui avait rétabli la démocratie dans ce pays ? Qui a peur de la démocratie en RDC ? ». « Je n’aurai pas le temps de donner une réponse à chaque question », a-t-il conclu, très sûr de lui, comme pour trancher le débat. Il faisait notamment allusion aux 32 ans de dictature du maréchal Mobutu Sese Seko, renversé en 1997 par Laurent Désiré Kabila, son père.

Les propos de M. Hollande ont été aussi critiqués par le président burkinabé, Blaise Compaoré, qui a jugé dimanche que le président français « n’a pas tenu compte des réalités de ce pays ».

Outre les critiques du président français, ce dernier s’était aussi affiché à Kinshasa avec des représentants de la société civile et avec le principal opposant, Etienne Tshisekedi, qui conteste la victoire du président Kabila aux élections de 2011. Le chef de l’Union pour la Démocratie et le Progrès Social (UDPS) s’est déclaré « très satisfait », samedi, de son entretien avec le chef d’Etat français. L’UDPS avait rejeté les résultats des élections de fin 2011, remportées par le président sortant Joseph Kabila et les partis qui le soutiennent. Ces scrutins avaient été marqués par de nombreuses « fraudes », selon des missions d’observation. M. Tshisekedi, qui s’est autoproclamé « président élu », n’a pas évoqué ce dossier avec M. Hollande : « Il n’y a que les Congolais qui ont élu Tshisekedi et qui savent qu’ils ont élu Tshisekedi, les autres n’ont pas de preuves, par conséquent, il ne faut pas les embêter ».

Le débat sur la démocratie a pris encore plus de proportions lorsque le premier ministre canadien, Stephen Harper, a déclaré dimanche souhaiter que les prochains sommets de la Francophonie se tiennent « uniquement dans des pays démocratiques ». Le dirigeant canadien a admis être allé à Kinshasa « avec quelques réticences », mais sans regretter son choix. « Je pense que ça valait la peine, parce que ça nous a donné l’occasion de rencontrer des gens qui travaillent activement au changement ici », a-t-il dit, depuis la RDC, à la télévision canadienne.

Mais le secrétaire général de la Francophonie, Abdou Diouf, s’est montré plus diplomate en vantant « une Francophonie populaire et enthousiaste » en RDC. « Ce sommet de Kinshasa a été un grand succès, d’autant plus que nous avions sur notre route beaucoup d’obstacles », a-t-il dit. « Nous vous devons une gratitude infinie, à vous, à votre peuple, ainsi qu’à vos homologues qui ont bien voulu participer avec vous à ce sommet », a-t-il ajouté.

Résolutions non contraignantes

Pour ce qui est des résolutions prises lors du sommet, dans une résolution non contraignante sur la situation en RDC, la Francophonie a condamné dimanche « les violations massives des droits de l’homme et du droit humanitaire dans l’est de la RDC, en particulier les meurtres de civils, le déplacement de populations, le recrutement d’enfants soldats et les violences sexuelles ». Joseph Kabila a affirmé à ce propos : « Les violations des droits de l’homme, principalement à l’est du pays, sont dues à la guerre qui nous est imposée depuis maintenant 7 ou 8 mois dans le territoire de Rutshuru (est) et plusieurs localités ».

L’organisation a demandé au Conseil de sécurité des Nations-Unies d’« adopter des sanctions ciblées contre tous les responsables des exactions commises », en pointant aussi bien la responsabilité des Hutu rwandais des Forces démocratiques de libération du Rwanda que des membres du mouvement M23, né il y a 5 mois d’une mutinerie d’officiers congolais tutsi, ex-rebelles. Cette résolution a été adoptée malgré la « réserve » exprimée sur ce point par le Rwanda, qui a également rejeté l’appel à « poursuivre en justice les auteurs des crimes de guerre et des crimes commis contre l’humanité » en RDC.

La Francophonie s’est aussi globalement engagée à soutenir l’Afrique dans tous les domaines, dans sa déclaration de Kinshasa en 60 points, résumant les engagements des 57 pays membres et 20 observateurs. Dans une résolution consacrée au nord du Mali, occupé depuis 6 mois par des groupes islamistes armés, la Francophonie a appelé au « renforcement du processus de négociation » avec toutes les parties maliennes « à l’exclusion des mouvements terroristes », tout en exprimant son « soutien » à la demande d’intervention internationale formulée par Bamako.

D’autres résolutions non contraignantes ont également été adoptées sur les crises à Madagascar et en Guinée-Bissau, la bonne gouvernance dans les industries extractives et forestières ainsi que le renforcement de la lutte contre la piraterie maritime dans le golfe de Guinée.

Le prochain sommet de la Francophonie aura lieu au Sénégal, pays natal de l’actuel secrétaire général de l’organisation, Abdou Diouf. Les autres postulants à l’organisation — Viêtnam, Moldavie et Haïti — avaient finalement retiré leur candidature pour que Dakar soit choisi à l’unanimité. Pour Macky Sall, président sénégalais élu en mars, « si Dakar a été choisie, c’est aussi pour saluer la démocratie sénégalaise ». Ou peut-être pour lancer un nouveau débat sur la démocratie en Afrique.

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