Al-Ahram Hebdo : Alors que la Francophonie souffle ses 50 bougies cette année, comment évaluez-vous la place du français dans le monde éducatif en Egypte ?
Laura Abou Haidar: C’est touchant et émouvant de contribuer au cinquantenaire de la Francophonie dans un pays comme l’Egypte où la Francophonie est ancrée dans le patrimoine, l’histoire, la langue et la culture. Il y a une grande vitalité autour du français, une croissance constante des effectifs des élèves qui apprennent le français et un intérêt important aussi bien du point de vue qualitatif que du point de vue quantitatif.
Le français est présent dans les établissements scolaires homologués et bilingues, qui comptent plus que 43000 élèves, Mais aussi dans les écoles publiques. Il est enseigné comme Langue Vivante 1 (LV1) et LV2. Il est de même présent dans le monde universitaire, que ce soit à l’Université Française d’Egypte (UFE) ou dans les filières francophones dans les universités égyptiennes. La présence de ces nombreux réseaux en parallèle est importante pour la vitalité de la langue et constitue une richesse pour le pays.
Nous pensons que les meilleurs ambassadeurs de la langue française sont ceux qui sont scolarisés et ceux qui s’approprient la langue et la culture dès le plus jeune âge.
— La France a adopté une stratégie internationale pour la langue française et le plurilinguisme dont le premier enjeu est « apprendre en français ». Comment cela se traduit-il dans les établissements scolaires en Egypte ?
— Le poste diplomatique en Egypte est extrêmement mobilisé auprès du monde scolaire dans sa globalité. Nous avons le soutien très appuyé de l’ambassadeur. Au niveau du Service de coopération et d’action culturelle et avec l’ambassade, nous sommes en pleine réflexion sur les stratégies à adopter pour développer la langue française et le plurilinguisme dans les établissements à programme français et bilingue, plus particulièrement ceux qui ont le Label franceducation, un label interministériel qui apporte son soutien aux établissements essentiellement à travers la formation. Nous faisons cela de plusieurs manières. D’abord, par la formation des enseignants sur le plan linguistique et méthodologique: la formation continue est vraiment au coeur de notre dispositif, car nous savons que c’est un enjeu majeur. Dans ce but, l’Institut Universitaire de Formation des Professeurs (IUFP) à l’IFE soutient les enseignants de français et en français par des formations. Mais aussi, nous apportons notre soutien à l’enseignement du français et en français dans les facultés de pédagogie et des lettres des universités égyptiennes. Nous accompagnons également les établissements par l’organisation d’événements linguistiques, éducatifs et culturels permettant aux élèves un contact avec la langue française et sollicitant leur imagination et créativité, telles les actions proposées dans le cadre de la Journée internationale des droits de la femme. Nous cultivons surtout cette idée d’appartenance à un réseau et une communauté que ce soit chez les élèves, les enseignants ou les équipes des directions des établissements. L’idée est de faire en sorte que l’ensemble de la communauté éducative se sente renforcée et sécurisée dans un réseau, tout autour des valeurs véhiculées par le système éducatif français et la langue française.
— Qu’en est-il des écoles religieuses francophones présentes en Egypte depuis plus d’un siècle ?
Le 1er Sommet de la Francophonie s'est tenu en 1986 à Versailles, en France. Il se tient tous les deux ans.
— Ces écoles historiques sont d’une extrême importance, car ce sont elles qui ont permis au français d’exister en Egypte. Le président français, Emmanuel Macron, lors d’une récente visite à Jérusalem, a annoncé un plan d’action et un fonds qui sera créé et dédié aux écoles des congrégations de l’ensemble du monde arabe. Nous attendons avec impatience la création de ce fonds qui a vocation à renforcer ce réseau. Il devrait pouvoir bénéficier aux 500000 élèves qui sont scolarisés et dans l’ensemble de la région, dont 30000 ici en Egypte.
Pour les écoles confessionnelles qui appartiennent au réseau d’écoles bilingues francophones et qui ont une section de lycée homologuée, nous souhaitons qu’il y ait dans ces établissements une extension des sections de bac français. Nous soutenons les écoles bilingues francophones par le biais duLabelfranceducation, mais aussi par des événements phare qui permettent de mobiliser la communauté éducative, telle la Journée internationale du professeur de français.
— A quels défis est confronté l’enseignement du français en Egypte ?
— Le premier enjeu est celui du plurilinguisme. La vitalité de la langue française en Egypte aurait intérêt à être renforcée en restant présent dans les différents réseaux d’écoles et en créant un environnement culturel francophone extrascolaire de manière que la langue française soit une langue qu’on entend au quotidien. Et il faut faire en sorte que la langue française ne s’adresse pas à une petite élite. Or, c’est bien de défendre cette belle langue qu’est le français sans aller contre les autres. L’anglais est une langue internationale répandue dans un pays comme l’Egypte. Il faut que les élèves maîtrisent la langue du pays mais aussi d’autres. La particularité des parcours proposés dans les écoles à programme français fait que les bacheliers sont capables de suivre leur scolarité en français, en anglais, en arabe, mais aussi en allemand et en espagnol. Nous veillons à ce que le français ne remplace ni la langue nationale ni les autres langues internationales, et que les élèves issus de nos établissements aient une éducation plurilingue. Nous sommes heureux quand nos bacheliers intègrent une université égyptienne prestigieuse, l’Université américaine, l’Université Française d’Egypte (UFE) ou d’autres universités à l’international.
Le numérique aussi est un défi très important. Nous veillons à moderniser l’enseignement-apprentissage de la langue française en faisant appel à de nouvelles ressources et méthodes de travail. Pour ce faire, le numérique doit s’intégrer d’une manière beaucoup plus efficace au niveau des établissements. Proposer les tablettes comme support d’enseignement n’a pas seulement pour but d’alléger le cartable, mais plutôt de favoriser des stratégies d’apprentissage qui vont dans le sens de l’autonomisation de l’élève. Un tel support permet aux élèves d’effectuer des démarches d’apprenti chercheur à tester la validité des données et à développer le sens critique. Cela implique aussi l’intégration de la question de l’éthique des usages numériques, aussi bien par rapport à la manière de l’exploitation des données, que par rapport à l’usage des réseaux sociaux.
Un autre défi est celui de contribuer à la formation des futurs citoyens et les sensibiliser aux enjeux sociétaux actuels, dont des enjeux liés à l’environnement, à l’égalité des hommes et des femmes, au développement durable, etc. Ces enfants en pleine croissance vivent dans un monde dans lequel émergent des sujets différents à ceux auxquels notre génération a été confrontée. Sur le plan éducatif, l’école a pour mission de permettre des espaces d’expression, de création et d’engagement pour les élèves.
— Quels sont vos objectifs dans la période à venir ?
— Nous sommes dans une étape où nous essayons de passer à la vitesse supérieure. Au niveau des écoles homologuées, nous avons la chance d’avoir 14 établissements à programme français avec un nombre d’élèves correspondant à 9000. Sachant que le taux de réussite au bac dans ces établissements est de 94,3%, avec un taux de réussite de 100% dans 4 établissements; il est supérieur au taux de réussite en France (88,1%). La majorité des admis le sont avec une mention TB, dont un nombre non négligeable avec les Félicitations du jury.
Notre projet est de doubler le nombre d’élèves dans ce réseau à l’horizon 2030. Et ce, soit en accompagnant les écoles bilingues francophones vers l’homologation, soit à travers des investisseurs qui ont envie de s’engager pour le système éducatif à la française en créant des écoles. Nous sommes déjà sollicités par des établissements internationaux égyptiens qui ont envie qu’on les accompagne dans la procédure d’homologation qui est une procédure très calée au niveau de l’Agence pour l’Enseignement Français à l’Etranger (AEFE). En Egypte, le système éducatif est suffisamment riche pour pouvoir envisager toutes les possibilités et tous les dispositifs .
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