C’est dans les locaux prestigieux du Collège du Sacré-Coeur Ghamra que s’est tenu, les 1er et 2 mars, le séminaire « Les neurosciences cognitives et l’innovation au service de l’apprentissage », organisé par l’Institut Français d’Egypte (IFE) et réunissant le réseau des écoles bilingues francophones en Egypte. Un séminaire dont les « objectifs s’appuient sur la volonté des participants de partager l’information, les pratiques et les échanges », selon Christine Gourjux, attachée de coopération pour le français à l’IFE, et qui se tient, toujours selon elle, « après de multiples visites du secteur éducatif aux établissements pour répondre à leurs besoins ». « De plus, il s’inscrit pleinement dans le cadre de la réforme Education 2.0 mené par le ministère de l’Education », ajoute-t-elle. Et d’expliquer que l’un des piliers de la réforme est la formation. Ainsi, « ce séminaire propose un parcours individualisé pour les professeurs à travers les ateliers, et un autre personnalisé professionnalisant pour le personnel des directions ». En même temps, Christine Gourjux explique que la thématique du séminaire répond à l’objectif de « conduire l’enfant à produire le meilleur de lui-même ».
Quant à Jean-luc Berthier, proviseur honoraire, ancien responsable de la formation des personnels de direction à l’Ecole supérieure de l’Education nationale Française, spécialiste en sciences cognitives, il explique que les neurosciences cognitives permet de comprendre le fonctionnement du cerveau quand il apprend, ainsi que les mécanismes des axes fondamentaux de l’apprentissage : « la compréhension, la mémorisation, la mobilisation de l’attention, l’implication active … ». S’approprier ces mécanismes est susceptible d’améliorer les « fonctions exécutives », telle l’habilité de gérer la pensée et d’organiser l’information pour communiquer. Ce qui octroie aux élèves un certain nombre de compétences comme l’élaboration de stratégies, la planification, le contrôle des émotions, l’anticipation et la flexibilité mentale. « Ces compétences ne se trouvent pas dans les programmes que la vie scolaire privilégie », explique Berthier. De plus, la compréhension des fonctionnalités du cerveau permet aux enseignants d’adapter leurs pratiques pédagogiques aux activités cognitives de l’élève, ce qui améliore la performance de l’apprentissage, réduit la difficulté et le décrochage scolaires. « Il est plus concevable que les enseignants aient une connaissance des fonctionnements cognitifs », dit Berthier.
L’un des axes fondamentaux sur lequel les enseignants devraient oeuvrer est la mémorisation. Elle permet de comprendre, de s’exprimer et de communiquer. « Un élève ne peut ni comprendre un texte, ni s’exprimer sans avoir en mémoire des savoirs », explique Berthier. L’enseignant doit donc connaître les règles fondamentales de la mémorisation, tels réapprendre plusieurs fois pour retenir, la mémorisation par questionnement et la compréhension. Pour une meilleure gestion de la mémoire, Berthier propose quelques pratiques, dont les exercices et les fiches de mémorisation, des logiciels et applications numériques. Mobiliser l’attention des élèves est aussi un objectif prioritaire. L’enseignant doit capter l’attention de l’enfant par des matériaux attrayants, le contact visuel et verbal, et surtout il ne doit pas lui donner de « double tâche » d’autant plus que le cerveau est mono attentionnel. Et, étant donné que le « cerveau est prédictif », autrement dit un système capable d’expérimenter, vérifier et émettre des hypothèses, l’élève doit être impliqué dans son apprentissage et en être l’acteur.
Au chevet des cas particuliers
Les neurosciences cognitives aident aussi l’enseignant à différencier ces pratiques selon le profil de l’élève, surtout celui en difficultés, tel l’enfant dyslexique. « La dyslexie est considérée par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) comme une pathologie regroupant tous les symptômes des difficultés cognitives de lecture et dont la cause est un dysfonctionnement de certains circuits cérébraux », explique Sylvia Topouzkhanian, orthophoniste, docteur en sciences du langage. Un enfant dyslexique scolarisé souffre de difficultés : lecture lente ou erronée, mauvaise compréhension des consignes, inversion de mots, vocabulaire pauvre, etc. Un diagnostic précoce d’un enfant dyslexique permet la mise en place dès la première année des supports adaptés à son besoin spécifique et limite les risques du décrochage scolaire. Des pratiques pourraient favoriser sa réussite, dont placer l’élève dans les premiers rangs, lui fournir les supports des cours, pratiquer le tutorat par un camarade de classe, ne pas sanctionner l’orthographe lors des évaluations, utiliser les logiciels facilitant à l’enseignant de suivre l’évolution de l’élève, etc. « Pour aider un enfant dyslexique, l’enseignant devrait avoir de l’empathie, accepter sa lenteur, être attentif aux difficultés de concentration et privilégier la qualité à la quantité de travail », dit Sylvia Topouzkhanian.
Mais en découvrant les fonctionnements du cerveau ne faut-il pas réfuter les fausses croyances qui y sont liées ? Selon Cristophe Rodo, jeune chercheur à Aix-Marseille Université et formateur en sciences cognitives, il faut que l’on prenne du recul en ayant un esprit critique quant aux informations qui sont argumentées par des explications neuroscientifiques. Celles-ci, bien que séduisantes, pourraient être erronées. « L’idée que nous utilisons 10 % de notre cerveau n’est qu’un mythe. Nous exploitons notre cerveau à 100 %, chaque partie du cerveau a une fonction », dit Rodo en expliquant que le cerveau représente 2 % de la masse du corps, alors qu’il consomme 20 % de ses ressources énergétiques. « Si cette idée avait été vraie, les parties faibles auraient été éliminées au cours des millions d’années d’évolution de notre espèce », poursuit-il. Idem pour « l’effet Mozart » prônant qu’écouter de la musique classique rend plus intelligent. Ce qui a été contesté par plusieurs expériences. « Ce sont des neuromythes inspirés des recherches scientifiques déformées », assure-t-il.
Des thèmes nouveaux, a fait valoir Jamel Oubechou, conseiller de coopération et d’action culturelle et directeur de l’IFE, pour lequel le thème de ce séminaire montre que « la langue française n’est ni passéiste ni seulement une vieille tradition. Mais c’est une langue vivante et une langue d’innovation ».
Une langue à laquelle « le ministère égyptien de l’Education et de l’Enseignement technique accorde un grand intérêt », selon Nermine Al-Noamani, conseillère du ministre pour les relations internationales, qui rappelle que « le ministère avait mené depuis deux ans en coopération avec la France un projet pour le développement de la langue française dans les écoles publiques et traduit en coopération avec l’IFE les nouveaux manuels élaborés dans le cadre de la réforme ». Quant à Laura Abou Haidar, attachée de coopération éducative à l’IFE, elle a exprimé sa « confiance en les citoyens égyptiens de demain formés par les écoles binlingues francophones et qui seront les ambassadeurs de la langue et la culture françaises », mais aussi sa « fierté de la qualité des liens avec ces établissements » et sa « gratitude pour leur dévouement pour la langue française ».
Parallèlement aux conférences, des ateliers innovants et constructifs ont été organisés par les enseignants des établissements participants. Autant d’échanges qui apportent un plus à la francophonie en Egypte. Ce séminaire traduit la fructueuse collaboration entre l’ambassade de France et les écoles bilingues, estime soeur Geneviève De Thelin, cheffe d’établissement du Collège Sacré-Coeur Ghamra. « Nous sommes en train de vivre la réforme ambitieuse du ministère de l’Education, et donc affrontés à de nouveaux défis. Ce qui nous interpelle pour intégrer tout ce qui peut aider nos établissements à être un lieu d’apprentissage formant des jeunes ouverts sur le besoin de leur pays, capables de réflexion et d’innovation », conclut-elle.
« Cogni-classe », un projet ambitieux
Intégrer des pratiques pédagogiques se basant sur les recherches en sciences cognitives en classe pourrait aider à mieux enseigner. Mais cela exige un engagement et une formation. D’où l’idée lancée par Jean-Luc Berthier : il a invité les chefs d’établissement, les formateurs et les enseignants à monter un projet pédagogique fondé sur les sciences cognitives, chacun dans son établissement, « la cogni-classe ». Selon Berthier, les enseignants doivent d’abord former une équipe de deux ou trois personnes pour mettre en oeuvre des modalités pédagogiques liées aux axes pédagogiques en rapport avec les sciences cognitives : mémorisation, compréhension, implication active, attention, etc. Ils doivent choisir une ou deux pistes à exploiter, puis innover dans leurs pratiques de classe en se « co-formant » et en effectuant des visites de classes mutuelles avec leurs collègues pour plus d’échange. C’est dans ce contexte qu’un atelier réunissant les chefs d’établissement a été animé par Jean-Luc Berthier autour de la construction et l’accompagnement des projets. Car ce projet, cogni-classe, devrait être soutenu par la direction de l’école.
Des discussions constructives ont été au coeur de l’atelier pour détecter les besoins déterminés selon le profil de chaque établissement et le contexte du système éducatif en Egypte, en tenant compte des exigences de la réforme Education 2.0. L’idée a provoqué enthousiasme, mais aussi prudence. Intérêt et enthousiasme, car au lendemain de cette réforme, la réussite n’est plus liée à « l'apprentissage par coeur », mais plutôt à la gestion et l’analyse des informations. Ainsi, il s’avère indispensable que les enseignants adaptent leurs modalités-pratiques aux activités cognitives de l’élève pour qu’il entre dans le monde de demain. Selon les participants, ce changement pourrait avoir comme noyau les enseignants « motivés » avec la coopération des coordinateurs qui catalyseront le projet. Il n’en reste pas moins que des défis pourraient, selon eux, compromettre le projet, tels les programmes surchargés, surtout avec la courte durée de l’année scolaire et l’hétérogénéité de la classe. Des contraintes pas difficiles à surmonter, selon Berthier, car les neurosciences cognitives aident l’enseignant à différencier sa pédagogie et à innover, ce qui est « un privilège pour l’élève » qui sera zélé lorsqu’il aura été informé du fonctionnement et du potentiel de cette formidable machine à apprendre qui est son cerveau.
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