C’est un samedi pas comme les autres. La rue d’Al-Khartoum à Héliopolis, habituellement calme, change de visage. Des voitures de police, et des mouvements non habituels annoncent qu’un événement exceptionnel a lieu dans les parages. Au numéro 15 se trouve le bâtiment de l’école Notre Dame de la Délivrande, ou la Délivrande comme on l’appelle. Cet établissement, qui a marqué la vie de milliers de personnes, fête cette année le 150e anniversaire de la congrégation des sœurs dominicaines dans le monde. A 17h, la rue commence à s’encombrer de voitures. Les invités affluent. Ils sont accueillis à l’entrée de l’école par la surveillante Magda Zaki, avec son grand sourire. Les élèves responsables de l’organisation de cet événement vérifient les tickets et guident chaque invité à sa place. Une ambiance de fête règne à l’intérieur. Des décorations en tulles blancs sont étendues dans tous les coins, des lampes jaunes sont accrochées aux murs. Les chaises consa
crées aux parents et aux anciennes élèves sont posées en demi-cercle, et au milieu se trouve un grand écran. Le premier rang compte, aux côtés des responsables de l’école, des visages qui ne sont pas très familiers pour l’ensemble des présents : sœur
Elizabeth Montagnac, la prieure générale de la congrégation des sœurs dominicaines de Notre Dame de la Délivrande, et sœur Soad Abou-Samra, directrice de la Délivrande Araya, au Liban. Elles sont venues spécialement pour assis
ter à la célébration. Sœur Nelly, la doyenne des sœurs en Egypte, a tenu à assister à cette occasion. L’événement coïncide également avec le 20e anniversaire de l’initiative « Aimer et servir » lancée par l’école. « Cette initiative consiste à
apprendre à nos élèves l’importance d’aimer et de servir les autres à travers des actes de charité en guise de remerciement au bon Dieu », explique sœur Marguerite, directrice de l’école. Vers 18h30, le spectacle préparé et présenté par les élèves de l’école commence. Une dizaine de filles arrivent avec leurs tambours et effectuent une marche rythmée qui attire l’audience vers le centre de la cour. Un mot est prononcé par sœur Marguerite, directrice de l’école. Des danses et des chants sont organisés, et des films documentaires sont projetés. Chaque spectacle est suivi de cris de joie et d’encouragement de la part des spectateurs enthousiastes. Ce sont surtout les anciennes diplômées qui se montrent les plus enthousiastes. « Ça me fait très bizarre de me maquiller pour venir à l’école. Les sœurs vont-elles m’en faire la remarque ? », lance avec humour Dahlia, ancienne élève de la promotion 1988 et qui, parmi d’autres, visite l’école pour la première fois depuis sa graduation.
D’autres anciennes élèves venaient plus fréquemment à l’école, soit parce qu’elles sont des mamans d’élèves, ou tout simplement pour avoir des nouvelles des soeurs et de leurs anciens professeurs de temps à autre. Chérine, de la promotion de 1983, affirme qu’elle est passée plusieurs fois à l’école pour saluer les responsables, juste pour sentir qu’elle est revenue à l’époque dorée lorsqu’elle était élève. En fait, c’est cette émotion qui a poussé les anciennes élèves à être là aujourd’hui. Pour elles, se retrouver de nouveau entre les murs de l’école, avec des personnes avec lesquelles elles ont partagé de bons souvenirs, représente un vrai retour vers ce passé qui leur manque. « Aujourd’hui, toutes les figures que j’ai croisées, je les vois comme je les voyais il y a des années. Comme si le temps n’était pas passé. Et je pense qu’elles aussi me voient de la même manière », dit Dina, de la promotion 1983.
Le silence règne et les feux du projecteur se tournent vers le côté gauche de la cour. Tous les regards portent alors sur le drapeau du Liban qui paraît sur le théâtre. Un geste d’appréciation à l’égard de soeur Souad Abou-Samra. « Les écoles de la Délivrande, partout dans le monde, sont des communautés éducatives et des établissements scolaires qui rayonnent dans leur entourage », explique soeur Soad. Et d’expliquer qu’au Liban, il existe deux Délivrandes : l’une à Araya et l’autre à Ghosta. Ces deux établissements ont la particularité d’avoir sous leurs toits des élèves mixtes, de toutes les religions : des catholiques, des orthodoxes, des arméniens, des chaldéens, des musulmans sunnites, chiites ou des Druzes, et ils vivent tous ensemble. « La mission de l’école est de faire en sorte que nous vivons en communauté malgré nos différences, et de se respecter les uns les autres », éclaircit-elle. Une mission qui a été respectée tout au long des années depuis la fondation de la congrégation des soeurs dominicaines en 1862 par soeur Laure Sabès (voir encadré). Aujourd’hui, cette mission s’est surtout concrétisée par les écoles qui se trouvent dans plusieurs endroits autour du monde. En Egypte, la première école a été fondée en 1893 et, actuellement, il en reste deux : l’une à Héliopolis et l’autre à Daher (voir encadrés).
Un retour à l’enfance
Peu à peu, le nombre de spectateurs diminue. Sur les chaises, ce sont surtout les parents des filles participant aux spectacles présentés qui demeurent collés à leurs places. Mais où sont passées les anciennes ? Celles-ci se sont dispersées un peu partout dans l’école. Comme de petites filles, les anciennes de chaque promotion, s’étant retrouvées après tant d’années, n’ont pas caché leur joie qu’elles tenaient à exprimer par tous les moyens. Elles criaient, sautaient, s’embrassaient et n’hésitaient pas à pénétrer dans les classes, pourtant fermées, pour s’asseoir sur leurs anciens pupitres et renouveler leurs mémoires. La joie est visible sur elles. D’autres n’ont pas manqué l’occasion pour prendre des photos avec les soeurs, les professeurs, les surveillants, ou tout simplement avec leurs anciens bâtiments.
Le temps est vite passé, le spectacle s’est terminé et quelques chansons retentissent dans les grands haut-parleurs de l’école. Tous les présents se rassemblent en groupes, les discussions n’en finissaient pas. Les petites foules se jettent en direction du coin souvenir. Ils y trouvent des tee-shirts, des mugs, des stylos et un numéro spécial du magazine scolaire portant le logo de la célébration.
Il est temps de partir, mais personne ne veut quitter. Les surveillants sont obligés de faire la remarque aux « filles », qui fuient et se cachent pour rester quelques minutes de plus au sein de l’école ou pour prendre une dernière photo. Avant de se dire au revoir, les Délivrandaines ont échangé leurs numéros de téléphones avec la promesse de se rencontrer à nouveau. Beaucoup d’entre elles se sont vues la semaine d’après dans la cour de l’école Délivrande à Daher, qui fêtait le même événement .
Notre Dame de la Délivrande à travers le monde
L’année 2018-2019 est l’année jubilaire de la fondation de la congrégation des dominicaines de Notre Dame de la Délivrande : cela fait 150 ans que les religieuses de cette institution se dévouent à travers le monde au service des pauvres, des malades et de l’éducation.
C’est au soir du 24 décembre 1868 que la vie de la fondatrice de cette congrégation, Laure Sabès, est bouleversée. Comme le racontent les soeurs dominicaines, elle reçoit une lumière fulgurante qui va irradier sa vie et faire d’elle un témoin de l’amour de Dieu. C’est en Martinique aux pieds de Notre Dame de la Délivrande que Laure Sabès va s’engager à servir autrui. Saisie par une sorte d’urgence avec sa soeur Hermance, elle fonde la congrégation de la Délivrande qui va s’occuper d’oeuvres caritatives et éducatives.
Devenue Mère Marie de la Providence elle nous a laissé un trésor : « Dites à mes filles de rester amies dans la charité ». C’est dans cet esprit que les soeurs de cette congrégation ont commencé leur parcours de la Martinique vers la France puis l’Egypte, l’Italie, le Liban, la Syrie, l’Algérie, le Gabon, la Suisse, Sainte Lucie, Madagascar et enfin la Dominique. Dans tous ces pays, les soeurs se sont entièrement dévouées sans aucune résistance, nourries de leur vocation.
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