
Le ministre guinéen de la Justice, Cheikh Sako, lors des débats.
(Photo : Mario Cernogoraz)
Conakry (Guinée), Correspondance —
Améliorer la qualité du journalisme en langue française : c’est la mission que se forge l’Union de la Presse Francophone (UPF). Et ses 46es Assises en République de Guinée n’ont pas dérogé à la règle. Organisé sous le thème « Journalisme, Investigation, Transparence », l’événement a rassemblé 311 participants venus de 48 pays. Un record! Pendant 5 jours, du 20 au 25 novembre à Conakry, alors que la saison des pluies s’achevait, les professionnels de la presse venus du Vietnam ou du Québec en passant par l’île Maurice et l’Ukraine ont échangé intensément, parfois ardemment, sur la pratique de leur métier soumis à bien des défis face au phénomène des « fake news » (fausses informations).
Ces Assises 2017, qui succèdent à celles d’Antsirabe (Madagascar) l’année précédente, ont recueilli le soutien des plus hautes autorités, du chef de l’Etat guinéen, Alpha Condé, à l’ambassade de France à Conakry. Des intervenants de qualité ont répondu à l’invitation: d’emblée en conférence inaugurale, Julia Cagé, professeur d’économie à Sciences po Paris, s’est exprimée avec en toile de fond l’affaire des « paradise papers », ces fuites révélant des informations sur les sociétés offshore. Elle s’en est pris « aux marchés » qui ne doivent plus détenir les médias, car la transparence auprès des lecteurs doit primer. Selon elle, « la démocratie consiste en une personne informée pour une voix; et non plus une personne pour une voix », c’est donc un modèle de « société des médias à but non lucratif, autrement dit le modèle de la fondation » qui doit être pensé, afin de contourner le blocage des annonceurs sur des affaires sensibles. Le président international de l’UPF, Madiambal Diagne, est venu préciser que « la presse a un rôle d’informer juste, informer vrai, éclairer les lanternes, édifier des enjeux, promouvoir le débat, encourager l’expression des voix diverses, en faire leur écho bien qu’elles puissent être difficilement conciliables ». Soulignant la même préoccupation, le représentant de Michaëlle Jean, secrétaire générale de la Francophonie (OIF) retenue à Paris, a fait passer le message selon lequel « les domaines à investiguer n’ont jamais été aussi complexes; il est une exigence morale de l’OIF de soutenir l’UPF ». Fort de ces encouragements, les Assises de Conakry ont aussi accueilli le ministre guinéen de la Justice, Cheikh Sako: dans le domaine de l’investigation, « le secret des sources des journalistes et la médiatisation des affaires de justice doivent trouver un équilibre » pour le bon fonctionnement des institutions d’un pays, a-t-il tempéré.
Le Web omniprésent
Mais sur une dimension virtuelle, alors que le Web est omniprésent dans la pratique journalistique, quelle utilisation accorder à cet espace sujet à toutes les adaptations? Selon Mamadou Ibra Kane, directeur du groupe Futurs Médias (Sénégal), « le Web n’est pas une menace, mais une opportunité à saisir ». Il complète le terrain tandis qu’une information vérifiée et déontologique sera toujours demandée par le public. « Une déontologie à l’épreuve du Web » a justement été le sujet retenu pour l’une des tables rondes de ces assises: « le Web a bouleversé les fondamentaux du journalisme », rappelle le journaliste Pierre Ganz (France). « Il est de plus en plus la source d’entorses à la déontologie, cela constitue des pressions accrues sur les professionnels à cause d’une concurrence tous azimuts par des non-professionnels de l’information. Cette urgence qui en découle provoque des fautes d’éthique gravissimes. Il est important de garder à l’esprit que le journaliste doit s’adresser à l’intelligence plus qu’à l’émotion », indique-t-il.
A Conakry, et dans le rapport direct à la déontologie du journaliste, les innovations pour contrer les « fake news » ont été exposées. Des outils de « fact-cheking » sont développés et l’expérience du quotidien français Le Monde a été mise en avant avec Décodex, qui propose à ses lecteurs un moteur de recherche permettant de vérifier la fiabilité des sites d’information, et en conséquence, de rétablir la vérité pour élever la qualité de l’information et du débat public. Car ces fausses informations pourraient constituer le danger de représenter le nouveau visage de la propagande. Un danger d’autant plus important qu’il peut susciter une forte émotion sociale. Toutefois, ces « fake news » sont inversement une chance de restaurer le coeur de métier du journaliste en allant sur le terrain, collecter et vérifier les faits. La création d’une « appellation contrôlée », sorte de label qualité de l’information qui accompagnerait les publications les plus crédibles, a enfin été mise en avant. Autant d’idées qui nécessiteront un temps de maturation avant de trouver la parade efficace pour assurer avec force et justesse la production d’une information de qualité.
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