Al-ahram hebdo : Vous avez cumulé plusieurs postes en Egypte. Pouvez-vous nous en parler?
Hervé Majidier : Je suis venu ici en tant que directeur général pour Carrefour pour l’Egypte et, aujourd’hui, je suis le président pour l’Arabie saoudite, le Koweït, le Qatar, Oman et Bahreïn, en plus de l’Egypte bien sûr. Mis à part mes fonctions à Carrefour, je suis heureux de faire partie des conseillers du commerce extérieur de la France depuis plus de dix ans. Je suis également honoré d’avoir été accepté comme co-président de la Chambre de commerce française en Egypte depuis plus de neuf ans, et cette chambre de commerce est ma fierté, car c’est aussi un support pour les divisions économiques des deux pays dans l’espoir de créer des partenariats solides. Elle offre aussi le support nécessaire aux investisseurs en termes de conseils juridiques, fiscaux, etc. Ces quelques casquettes en Egypte et surtout mon ancienneté dans ce pays m’honorent.
— Quels rôles jouent le Comité des conseillers du commerce extérieur et la Chambre de commerce française pour les investisseurs des deux pays ? Et quelle est la différence entre les deux entités ?
— Le Comité des conseillers du commerce extérieur est composé de dirigeants français. Nous cherchons la complémentarité en regroupant des personnes de différents secteurs : hôtellerie, industrie du bâtiment, banques, finances, etc. Le but est d’avoir autour de la table dans chaque réunion un bon résumé de l’image instantanée des activités ainsi que des soucis des entreprises françaises en Egypte, afin de pouvoir les exploiter et informer. A chaque réunion, le conseiller économique de l’ambassade ainsi que Business France et l’Agence française de développement. Nous ne sommes pas seulement quelques amis chefs d’entreprise, mais c’est un comité responsable digne de son nom. Les conclusions de nos discussions trouvent leur chemin aussi vers l'administration française. Nous avons un rôle d’indicateur par rapport à nos activités vis-à-vis de la France. Le contenu de nos réunions doit normalement rester confidentiel, car cela concerne notre vie de famille et l’on partage nos expériences, c’est une sorte de brainstorming entre nous. Par contre, c’est tout le contraire concernant la Chambre de commerce ; premièrement, on ne sert pas seulement la France mais les deux pays, notre rôle c’est de stimuler l’économie égyptienne en France et l’économie française en Egypte.
— Quel est l’effet des réformes entreprises par le gouvernement depuis 2016 sur les investissements français et leur avenir en Egypte ?
— Pour le moment, cela paraît difficile de changer des habitudes, d’instaurer quelques types de taxes, mais quand on compare l’Egypte à d’autres pays dans la région, voire dans le monde, effectivement la fiscalité n’est pas énorme dans ce pays. Si tout le monde payait ses impôts comme il le faut, le gouvernement pourrait avoir plus d’argent dans ses caisses pour faire ce qu’il faut faire. Chaque entreprise et chaque citoyen ont aussi un rôle de payer ce qu’il faut payer, être demandeur ne suffit pas. Les réformes lancées sont plus que les bienvenues, elles sont utiles et dans l’intérêt de ce pays, même si pour le moment, elles sont un peu douloureuses. Mais personne ne peut nier les plus de ce pays, commençant par la position géographique, le nombre d’habitants, le rôle qu’il peut jouer au Moyen-Orient mais aussi et surtout en Afrique. Les entreprises françaises dans leur totalité sont confiantes sur ce point. L’Egypte reste quand même un pays attractif en termes de « low-cost » sur différents aspects. Ouvrons un peu les yeux et comparons avec d’autres pays du monde.
— Quelles sont, selon vous, les décisions les plus positives pour l’investissement ?
— Personnellement, je suis content de voir un ministère pour la Coopération internationale et l’Investissement ensemble, car l’un va avec l’autre. En général, un investisseur étranger veut connaître ses droits, les risques et ce qu’il va faire avec son argent plus tard. Ce sujet touche les dividendes et le pays est conscient de cette attente de la part des investisseurs. Il y a quelques réformes qui commencent à être étudiées et je suis sûr que, très bientôt, nous serons témoins de quelques réalisations. De même, vous avez pu constater il y a quelques semaines que les transferts bancaires de devises ne sont plus limités à un montant spécifique. Qu’est-ce que je peux dire d’autre que donner au temps le temps, laisser le gouvernement faire le travail qu’il a à faire ? Il est engagé dans une feuille de route très claire.
— Les réformes entreprises par le gouvernement ont affecté le pouvoir d’achat et peut-être le business et le marché. Cela n’a-t-il pas d’impact sur l’investissement ?
— Si on prend les choses de l’autre côté, cela veut dire que la vie doit devenir théoriquement plus chère qu’avant. Les subventions étaient lancées depuis l’époque de Nasser pour différentes raisons, mais l’Etat ne peut pas éternellement materner tout le monde. Jusqu’à quand les riches doivent payer le même prix pour le carburant ? Notre espoir et l’espoir de ce pays est que chacun puisse vivre convenablement en gagnant bien sa vie, pas en appauvrissant le peuple en lui donnant gratuitement, mais en enrichissant le peuple et en faisant ce qu’il faut faire. Les entreprises du secteur privé, année après année, ont augmenté les salaires de base et je suis sûr que cela va continuer à se faire les années à venir parce qu’il y a un indicateur qu’on appelle dans notre vocabulaire « le coût de la vie » qui dépend en grande partie de l’inflation.
Je pense que la correction des subventions est obligatoire. L’économie de ce pays ira dans le bon sens. On ne peut pas parler d’économie sans parler du marché, et il n y a pas de marché sans consommateurs. Or, on est dans un pays de plus de 90 millions de consommateurs. Et bientôt, il y aura 100 millions d’habitants en Egypte, et cela n’est pas négligeable. Est-ce qu’on peut supporter les subventions pour ce nombre ? Bien sûr que non. Les réformes sont engagées, ce n’est pas facile, l’inflation bien entendu a grimpé mais ce n’est pas grave, il y a des pays qui ont connu une inflation de plus que 60 % année après année.
— Qu’en est-il de la nouvelle loi sur l’investissement ?
— Cela va être de mieux en mieux parce que nous sommes très heureux de participer dans différents types de table ronde avec des représentants du gouvernement ; ce dernier nous écoute. Donc je pense que la conclusion de tout va être positive. Seul message à passer aussi bien au peuple égyptien ou aux investisseurs potentiels, laisser au temps le temps, les réformes sont en cours et l’Egypte restera une terre d’investissement.
— Quels sont les soucis des investisseurs français en Egypte ?
— Il y en avait beaucoup, mais le gouvernement a lancé l’Autorité générale de l’investissement, GAFI et le guichet unique. Le guichet unique a très bien fonctionné au début, ensuite non, mais maintenant de nouveau le GAFI est très actif. On ne peut pas espérer mieux que ce qui se passe aujourd’hui. Le cadre juridique était auparavant un peu compliqué, le cadre fiscal n’était pas très clair, mais là, c’est très clair et l’on sait très bien on va payer quoi.
— Vous êtes un ardent défenseur de l’Egypte. Qu’est-ce que le pays offre de spécial ?
— L’Egypte est une vraie terre d’investissement. Quand vous regardez les pays voisins avec des difficultés géopolitique et économique, à mon humble avis il y en a peu de pays comme l’Egypte, qui peuvent offrir la stabilité et l’espérance de faire mieux. Il y a beaucoup de chantiers intéressants aux investisseurs dans ce pays comme la technologie informatique, les communications, les villes nouvelles, l’énergie solaire, et bien d’autres, les chantiers sont illimités. Ce qui peut satisfaire les demandes des investisseurs potentiels. Le cadre fiscal est respectable, les réformes sont en cours et j’ai énormément de respect pour le gouvernement et tout ce qu’il fait aujourd’hui. Les atouts fondamentaux de ce pays ne sont pas transférables et ce pays a suffisamment d’attractivité pour espérer le retour du tourisme ; il y a eu quelques interrogations par rapport à la situation sécuritaire mais regardez bien dans le monde ce qui se passe partout, aucun pays n’est à l’abri d’un imbécile ou d’un fou, d’une organisation malveillante.
— Vous vivez en Egypte depuis quatorze ans. Quels changements avez-vous constatés pendant cette période ?
— J’ai vu un durcissement au niveau de l’économie, l’infrastructure n’est pas suffisamment utile, mais de plus en plus de routes, ponts et tunnels sont en train d’être construits et la situation s’améliore. La succession des gouvernements depuis la révolution a ralenti un tout petit peu la décision de certains investisseurs. Nous sommes très heureux d’être venus et d’être restés et nous avons l’ambition et le rêve de rester encore pour des années à venir dans ce pays. D’autres auraient dû profiter de ces opportunités et arriver, car je pense que dans chaque crise et dans chaque situation difficile il y a des opportunités. Nous, nous n’avons pas vu beaucoup de crises, mais beaucoup d’opportunités.
— Y a-t-il de nouveaux investissements français qui se sont récemment implantés en Egypte ?
— L’arrivée d’entreprises ne se fait pas instantanément, je peux vous promettre qu’en 2018, il y aura de nouvelles entreprises françaises, je ne peux pas citer de noms, mais il y a eu pas mal de visites de prospection et il y a différents investisseurs potentiels de sociétés existantes ou à créer qui sont venus voir le pays. Il y en a ceux qui pensent lancer des affaires en Egypte avec des partenaires locaux et il y en a ceux qui vont délocaliser certaines activités. On a chaque année la réunion des présidents et directeurs des Chambres de commerce françaises à Paris. Cette fois-ci, mon collaborateur et ami, M. Hassan Behnam, qui dirige la Chambre de commerce, a passé quelques jours de plus pour répondre aux questions des investisseurs. Il n’y a pas que des intentions, mais des appels et du courrier qui indiquent que l’Egypte les intéresse davantage. Notre but n’est pas seulement de voir d’autres grandes sociétés françaises arriver ; les grands n’ont pas besoin de nous, la mission économique de l’ambassade est parfaitement en place pour leur conseiller et les aider. Notre but est de rendre l’Egypte attractive aux petites et moyennes entreprises. Il y a beaucoup de start-up qui regardent l’Egypte, il y a même des start-up françaises qui vont se lancer depuis l’Egypte. Les domaines sont multiples comme l’énergie, les services et l’éducation qui sont trois points phare où il y a beaucoup de choses à faire dans ce pays.
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