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Françafrique : Entre bons offices et volonté de domination

Abir Taleb, Lundi, 18 mars 2013

L’offensive militaire de la France dans le nord du Mali a relancé le débat sur le rôle de l’ancienne puissance coloniale en Afrique. Si Paris est critiqué pour son interventionnisme, celui-ci s’explique aussi par la faiblesse des Etats concernés.

Françafrique 
Les drapeaux français portés par les Maliens, une image qui ne passe pas inaperçue.

« La françafrique, c’est comme un iceberg. Vous avez la face du dessus, la partie émergée de l’iceberg : la France meilleure amie de l’Afrique, patrie des droits de l’homme, etc. Et puis ensuite, vous avez 90 % de la relation qui est immergée : l’ensemble des mécanismes de maintien de la domination française en Afrique avec des alliés africains … », écrit François-Xavier Verschave, spécialiste des relations franco-africaines, auteur de plusieurs ouvrages sur la question et membre fondateur de l’association Survie, une association qui lutte contre la françafrique.

La question de la françafrique, un terme utilisé pour qualifier l’action néo-coloniale de la France qui ferait de l’Afrique sa « chasse gardée », est revenue en force sur le devant de la scène depuis l’intervention française au Mali, qui a débuté il y a 2 mois. En effet, les drapeaux français flottant dans les rues de Bamako ne sont pas passés inaperçus, et la question qui fâche a été de nouveau posée, la françafrique, que l’on a enterrée tant de fois, n’est-elle pas de retour ? En fait, ce concept n’a jamais vraiment disparu. Les liens douteux entre la France et ses anciennes colonies sont un héritage du général Charles de Gaulle, qui, en maintenant sous tutelle ces ex-colonies, espérait aider Paris à maintenir son rang de grande puissance. Depuis, tous les présidents qui ont succédé à De Gaulle, de Valéry Giscard d’Estaing à François Hollande, ont déclaré vouloir s’en débarrasser, sans réellement le faire.

Comme ses prédécesseurs donc, l’actuel président français a perpétué cette tradition, alors qu’avant son élection, il ne cessait de fustiger Nicolas Sarkozy pour cette politique.

Côté français, on souligne que l’opération malienne n’est pas une face de la françafrique, mais s’inscrit plutôt dans le cadre de la lutte antiterroriste. Plus que les intérêts économiques, ce sont surtout les intérêts politiques qui priment et qui sont à l’origine de la décision française d’intervenir au Mali. Paris ne pouvait pas prendre le risque de laisser le nord du Mali, voire l’ensemble du pays, tomber définitivement aux mains des djihadistes d’Ansar Dine. Il ne pouvait pas courir le risque de laisser le Mali se transformer en un véritable sanctuaire pour les islamistes et de transformer ainsi la donne géopolitique de la région.

Pour ce qui est des intérêts économiques, ils existent certes. On a parlé d’uranium, d’or, de pétrole, de gaz et de fer, mais tout cela reste très flou. Certains sont même allés jusqu’à dire, qu’à la manière dont les Etats-Unis avaient conduit leur offensive iraqienne en 2003, la France serait intervenue au Mali pour défendre, entre autres, ses intérêts économiques.

La comparaison est toutefois loin de la réalité. Et, contrairement à la guerre contre l’Iraq, l’offensive française au Mali a été saluée par de nombreuses parties, à commencer par les Maliens eux-mêmes qui ont appelé la France à l’aide. Elle a également été saluée par le secrétaire général de l’Organisation internationale de la Francophonie, Abdou Diouf, qui a récemment déclaré : « La solidarité fait partie des fondements de notre communauté, elle est au coeur de notre action depuis sa création le 20 mars 1970. Aujourd’hui, elle s’est récemment exprimée par le formidable geste de la France, aidée par d’autres pays francophones, dont le Canada, qui a répondu à l’appel de détresse d’un de nos pays membres. Il nous fallait venir en aide au Mali pour lutter contre le terrorisme et l’aider à recouvrer sa souveraineté et son intégrité territoriale. C’était un geste très courageux de la part du président français, François Hollande, et je tiens à le remercier chaleureusement ».

Pour le conseiller Ahmad Hagag, ex-secrétaire général adjoint de l’Union africaine, « il ne faut pas oublier que cette intervention est venue après la demande des autorités maliennes elles-mêmes ainsi que d’autres pays de l’Afrique de l’Ouest ». Selon lui, cette intervention ne s’inscrit pas dans le cadre de la françafrique puisque « les pays d’Afrique de l’Ouest estiment que la France doit accomplir ses responsabilités envers ses anciennes colonies ». Il rejette la théorie des intérêts économiques : « Le Mali est l’un des pays les plus pauvres de la région, et au contraire, il a besoin d’aide ».

Ainsi, l’autre facette de la françafrique, la réalité la plus crue est la fragilité des ex-colonies françaises. Si l’on tend à diaboliser la France, on oublie souvent que ce qui permet à cette notion d’exister toujours, c’est justement la faiblesse structurelle de ces Etats, leur situation de servilité permanente, leurs perpétuelles divisions, leurs armées aux capacités opérationnelles à peu près nulles, la corruption et la pauvreté qui y font rage.

Une triste réalité que ces Etats n’ont pas réussi à changer, plus d’un demi-siècle après les mouvements d’indépendance.

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