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Noura Erakat: La politique comme passion

May Sélim, Mardi, 04 décembre 2012

Avocate, coéditrice de la revue électronique Jadaliyya et professeur adjoint de droit international à l’Université de Georgetown et à l’Université de Temple, la Palestinienne Noura Erakat défend inlassablement les droits de l’homme partout dans le monde. Pour elle, défendre la cause palestinienne c’est faire du militantisme en continu.

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Noura Erakat (Photo: Bassam Al-Zoghby)

La palestine fait la fête pour avoir obtenu le statut de pays observateur reconnu par l’Onu. Pourtant, Noura Erakat rappelle toujours dans ses articles que la reconnaissance d’un Etat ne signifie aucunement son indépendance. Sans compromis, elle évoque ses points de vue clairement dans ses articles publiés par-ci, par-là. Elle parle à haute voix, défend les droits de l’homme et s’insurge contre toutes sortes d’oppression, de frustration et de colonisation. La Palestinienne Noura Erakat, avocate, coéditrice de la revue électronique Jadaliyya et professeur adjoint de droit international à l’Université Georgetown et à l’Université de Temple aux Etats-Unis, se fixe pour tâche de soutenir tous les peuples dépourvus de leurs droits. Pour elle, défendre la cause palestinienne c’est faire du militantisme en continu. Au lendemain du vote en faveur de la Palestine à l’Assemblée générale de l’Onu, elle publie dans Jadaliyya « Réflexions rapides sur la signification de la déclaration de novembre 2010 des Nations-Unies en faveur de la Palestine ». Elle y dresse un état des lieux de ce qui se passe dans les territoires palestiniens et fait le point sur les défis auxquels est confrontée l’Autorité palestinienne. « Pendant longtemps les Palestiniens ont eu recours aux négociations, au lieu du militantisme. Depuis Oslo, le processus de paix est quasiment à l’arrêt. Qu’est-ce qu’on a négocié ? Et pour arriver à quoi ? », lance-t-elle.

Sans jamais perdre son engouement, elle ajoute : « La colonisation continue, pourquoi l’Israélien, qui croit que la terre palestinienne est un don sacré offert par Dieu, qui est muni d’une armée et du soutien des Etats-Unis, accepterait-il de négocier avec le Palestinien ? ». Pour Erakat, la solution des deux Etats est morte. Mais une cohabitation semble encore possible si les Israéliens et les Palestiniens sont considérés comme des citoyens égaux. « Pendant longtemps, Israël a diffusé l’image d’un pays menacé par les pays arabes cherchant à l’éliminer. Mais avec les massacres commis contre les Palestiniens dont les images sont diffusées partout, cette réputation d’un pays en péril a été détruite. Le problème est que face aux crimes de guerre israéliens, et ce qui se passe actuellement à Gaza, le monde ne bouge pas. Les Palestiniens ont essayé les négociations. Aucun procès ne fut intenté contre les Israéliens … Les autorités palestiniennes ont opté pour de vaines négociations. Au départ, nous, les Palestiniens, avons souffert car nous ne connaissions pas bien les lois internationales », indique Noura Erakat. Une raison pour laquelle cette jeune Palestinienne, résidant aux Etats-Unis, s’est consacrée entièrement à l’étude du droit international.

Issue d’une famille d’émigrés aux Etats-Unis, la petite Noura s’adonne à la politique. Dès sa plus tendre jeunesse, elle s’est sentie politisée. Aujourd’hui, ses souvenirs d’insurrection à la maison la font rire. « J’étais une fille parmi 3 garçons. Souvent ma mère me demandait de faire le ménage alors que mes frères regardaient librement les dessins animés à la télévision. Elle me répétait que Dieu a créé les filles pour faire les travaux ménagers et que les garçons n’ont pas la même charge. Je n’étais pas convaincue. Un jour j’ai jeté furieusement le balai et j’ai crié : je ne vais plus balayer ». Elle éclate de rire en évoquant la colère de sa mère. Issue d’une famille arabe et musulmane, Noura Erakat a eu une éducation traditionnelle et conservatrice. Malgré la mentalité ouverte de ses parents, leur intégration au sein de la société américaine et l’éloignement de leur terre d’origine, l’impact des coutumes et des traditions arabes reste omniprésent. En tant que femme, elle a voulu militer pour sa liberté.

Mariée à l’activiste, réalisateur et professeur d’économie politique le Syrien Bassam Haddad, Noura Erakat ne nie pas qu’elle rejette l’image traditionnelle du mariage. Pour elle, l’institution du mariage est faussée. « Ce qui compte pour moi c’est l’idée de partenariat. Quand peut-on prendre la décision de partager sa vie avec quelqu’un et d’en assumer la responsabilité ? », souligne-t-elle.

Etudiante en droit à l’Université de Berkeley, elle a découvert progressivement le monde politique. Avec beaucoup de passion, elle a organisé sa première manifestation et a appelé au boycott d’Israël. Elle s’insurge contre le principe de la colonisation. « Avec mes collègues, on a réussi à occuper des bâtiments, à fermer les portes et à renvoyer les étudiants des classes. On voulait leur montrer c’est quoi une occupation. Le message était simple. Il s’adressait aux étudiants et aux professeurs de l’université : Si vous êtes agacés par ce qui se passe, imaginez alors la situation des Palestiniens sous occupation », raconte Noura Erakat, qui a aussi découvert, à travers ses recherches, les intérêts capitalistes des Etats-Unis, dans le conflit arabo-israélien.

Ses études, dont une année de bourse à l’étranger, l’ont menée en Palestine. Mais pour des raisons administratives et de sécurité, Erakat étudie à l’université hébraïque et non à l’université palestinienne. « J’ai témoigné de la deuxième Intifada. Les bombardements israéliens étaient partout. Je vivais en territoire palestinien avec quelques membres de ma famille et pas au campus universitaire, j’ai été très touchée par la mort de mon voisin sous les bombardements. Depuis, j’ai refusé d’étudier l’hébreu à l’université. Pour moi, c’était la langue de l’occupation. Comment pourrais-je un jour la parler ? Une manière de protester ». Une décision qu’elle regrette plus ou moins aujourd’hui. « C’était une erreur. Car les Israéliens étudient l’arabe et le maîtrisent parfaitement bien », avoue-t-elle. Ne s’agit-il pas d’un moyen efficace de comprendre l’Autre, son ennemi partageant la même terre ?

La jeune rebelle a tout abandonné pour apprendre l’arabe classique à l’Université américaine du Caire. « L’Egypte était pour moi une première expérience dans un pays arabe sans occupation. C’étaient les plus beaux jours de ma vie », lance-t-elle avec un grand sourire. Au Caire, elle découvre l’art. « Une amie m’a demandé : veux-tu rencontrer des artistes militants ? Je lui ai répondu que je connaissais déjà assez de militants. A travers ces nouvelles rencontres j’ai découvert le théâtre. J’ai beaucoup aimé le jeu théâtral. C’est aussi un moyen de militer et de faire de la critique. Mais quand même c’est une manière de profiter de la vie. Jusqu’à quand va-t-on se plaire dans le rôle de la victime et du martyr ? Il faut quand même apprendre à vivre », souligne Erakat. Emue par cette expérience, elle a écrit 2 pièces de théâtre au sujet politique et y a joué.

Sur le plan politique, Le Caire laisse aussi des traces sur Noura Erakat. Elle y a découvert un autre conflit du monde arabe, ou selon ses propres termes : « Une autre forme d’occupation », celle de la force du régime au pouvoir et de la répression exercée sur le peuple qui lui aussi aspire à la liberté. Noura Erakat est consciente que le monde arabe a connu des régimes totalitaires pendant 30 ou 40 ans. « De quel Printemps arabe parle-t-on ? La révolution n’était pas blanche. Il y avait des martyrs, des morts, des blessés, des détenus. Il s’agit d’une intifada dans le monde arabe », précise-t-elle. Et d’ajouter : « Malheureusement, les peuples arabes n’assimilent pas le concept de leadership. Ils savent plutôt résister. De plus, ces révolutions n’avaient ni de stratégie ni de plan pour l’avenir ». Aujourd’hui en Egypte, les manifestations de colère à Tahrir sont, aux yeux d’Erakat, des étapes sur le chemin de la libération et de la démocratie. L’expérience est encore naissante pour les partis politiques et pour le peuple. « Nous ne pouvons pas nier que les Frères musulmans sont les plus organisés ; ils ont une vraie démarche qui date d’une vingtaine d’années et ont tant souffert des détentions et de la répression. Mais il ne faut pas se blâmer. La gauche maîtrise la résistance et non le leadership. Il y a toujours un rapport de force à respecter, que ce soit à la maison, dans le voisinage, au travail … », estime Erakat. Et elle poursuit son analyse : « L’Egypte a longtemps souffert de la colonisation ottomane, britannique et française, comme les autres pays arabes … Tout cela a eu un impact sur le peuple. Après la chute de l’esclavage aux Etats-Unis, le pays a mis 100 ans pour s’en sortir. Cette période d’instabilité dans le monde arabe n’est qu’une expérience, un apprentissage nécessaire », évoque Erakat. Retrouver finalement le bon chemin, la stabilité pour la Palestine … ne semble pas un rêve impossible pour Erakat. Elle y croit vraiment de tout coeur. « L’idéal et l’imaginaire existent », conclut la jeune avocate.

Jalons :

1980 : Naissance aux Etats-Unis.

2001 : Séjour en Palestine et déclenchement de la seconde Intifada.

2002 : Séjour au Caire et études de l’arabe classique à l’Université américaine.

2006 : Rencontre avec son mari l’activiste, professeur, réalisateur et DJ syrien Bassam Haddad.

2010 : Parution de Jadaliyya.

2012 : Conférence à l’Université américaine du Caire sur la mort de la solution des deux Etats et voyage à Amman pour un travail de recherche sur le statut des réfugiés palestiniens et syriens.

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